Comment est née votre passion pour la carrosserie et les voitures anciennes ?
Je viens d’un milieu ouvrier, et à mon époque, un fils d’ouvrier devenait ouvrier. Dans les années 60, l’automobile représentait la liberté : partir en vacances, se déplacer, rêver. Deux voies s’offraient alors à moi : la mécanique ou la carrosserie. J’ai choisi la deuxième parce que c’est un métier de main, de geste, de précision. Les voitures de collection font partie d’un patrimoine à protéger selon les mêmes principes que l’on applique aux oeuvres d’art. Ce n’est pas encore totalement ancré en France, mais quelques ateliers s’y consacrent depuis longtemps.
Quand avez-vous fondé HH Services ?
J’ai ouvert un premier atelier à Bischwiller, en 1976, dans l’ancienne usine Vestra. En 1989, un local s’est libéré à Strasbourg et je m’y suis installé avec un premier apprenti. Grâce aux Compagnons du Devoir, j’ai accueilli chaque année des itinérants, dont Isaak Rensing, devenu aujourd’hui co-gérant avec Romain Gougenot. Je les laisse mener la barque ! Moi, je suis dans le bureau à côté. S’ils ont besoin de conseils, ils me sonnent (rires).
Depuis, vous vous êtes beaucoup engagé pour valoriser le métier…
Oui, c’est devenu un combat quotidien. Quand j’ai découvert – grâce à la Fédération des Métiers d’Art d’Alsace – que carrossier était classé parmi les métiers d’art, ça m’a donné un second souffle ! Le croisement avec d’autres artisans d’art ouvre des horizons incroyables.

03 88 61 70 24 – contact@carrosserie-hh.com. / ©SD
En 2017, vous avez été nommé Maître d’art restaurateur de véhicules de collection par la Ministre de la Culture Françoise Nyssen. Que représente cette distinction ?
Un ascenseur social. La preuve qu’on peut obtenir de belles distinctions en étant ouvrier. HH Services est labellisé Entreprise du Patrimoine Vivant depuis 2007. J’ai reçu un Culture Award de la FIVA en 2020, un Bretzel d’Or en 2021, puis j’ai été fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2023… Aujourd’hui, je suis très actif à la FFVE et expert pour le ministère de la Culture. Tout cela sert un seul objectif : valoriser le métier.
Depuis toujours, votre atelier accueille compagnons, stagiaires et apprentis. La transmission, c’est la clé ?
La transmission insuffle de la vie et des idées neuves. Dans une petite entreprise, c’est indispensable. En tant qu’artisan, nous misons sur le savoir-faire, quitte à faire moins de volume. Nous travaillons par exemple avec des selliers, car après tout, chacun son métier ! Les clients viennent parfois d’Allemagne et de Suisse pour ça.
« Les voitures de collection font partie d’un patrimoine à protéger selon les mêmes principes que l’on applique aux oeuvres d’art »
Selon vous, comment réussir à transmettre ces savoir-faire traditionnels aux nouvelles générations ?
Il faut d’abord les moyens. Accueillir un alternant, c’est le payer en plus du temps de transmission. C’est une charge lourde pour les petits artisans. Beaucoup voudraient transmettre mais ne peuvent pas financièrement. Je salue tout de même le dispositif « Maîtres d’art – élèves », créé en 1994 par le ministère de la Culture. L’Institut National des Métiers d’Art (INMA) et la Fondation Bettencourt-Schueller travaillent à l’améliorer. Grâce à ce soutien, et à l’implication d’Isaak et Romain, la relève s’est installée chez HH Services, et apporte aussi de nouvelles méthodes de travail. Je trouve ça fabuleux. Aujourd’hui, transmettre m’intéresse presque plus que les voitures (rires).
Trouver des pièces d’origine relève parfois du défi. Comment procédez-vous ?
Par le réseau : la fédération, les clubs, les collectionneurs. Certains sont de véritables encyclopédies vivantes ! On peut, avec leurs infos, refaire une pièce complète, une aile par exemple. Les collectionneurs connaissent leurs marques : les Citroënistes, les fans de Porsche, les youngtimers… Ce qui décline, ce sont les voitures d’avant-guerre. Les jeunes ne les connaissent plus, alors que ce sont de véritables bijoux. À 60 km/h, on a l’impression de piloter (rires). Bruits, odeurs… tout est particulier.

Quel avenir imaginez-vous pour ces voitures de collection, à l’heure de l’électrique ?
On ne peut pas freiner l’évolution, mais il y aura toujours des collectionneurs, des musées et donc du travail. Rien qu’à la Cité de l’Auto de Mulhouse, il y a 500 voitures de la collection Schlumpf. Comme elles vieillissent, elles auront besoin de soin. Nous avons aussi travaillé pour le musée national de la Voiture à Compiègne.
J’ai toujours aimé travailler en collaboration avec les conservateurs de musées, comme Richard Keller. Les vrais passionnés resteront toujours. Ce qui me dérange davantage, ce sont les spéculateurs qui achètent des voitures uniquement pour la plus-value. Sans vouloir faire mon communiste, j’aimerais qu’à l’avenir on trouve un système pour valoriser le travail… pas la spéculation (rires).

Une voiture chère à votre coeur ?
La Torpédo Sigma Guynemer, restaurée avec Mathis lorsqu’il était apprenti, qui est aujourd’hui au musée du Château de Compiègne. Et bien sûr, les Bugatti ! Leur décision de garder la production à Molsheim est extraordinaire pour l’Alsace. Pour un jeune, travailler là-bas, c’est comme entrer chez Hermès pour un couturier.
Et une restauration dont vous êtes particulièrement fier ?
La Grégoire Hotchkiss par Chapron, issue d’une collection américaine, que l’atelier restaure actuellement. Une pièce unique au monde !
Vous collectionnez vous-même des voitures ?
Aucune ! Quand je pars en Haute- Savoie, je roule en 2CV… qui n’est même pas à moi mais à mon ami Philippe (rires). C’était la première voiture de mes parents. Je crois que plus on vieillit, plus on veut rouler la voiture de son enfance. Nostalgie, quand tu nous tiens…
Le chiffre
400 000
Le nombre de voitures de collection en France. En restaurer une seule peut prendre deux-trois ans, parfois plus…


