Le 1er avril 1984, je suis sur la scène de la Choucrouterie qui vient d’être « inventée » par Roger Siffer, un spectacle où je récite mes poèmes. À l’époque j’avais eu une prémonition, la poésie allait m’ouvrir une porte vers la littérature, cheminement probablement fastidieux mais riche en rencontres. Soudain effectivement un dénommé Michel, portant une crinière blanche de poète torturé par la beauté des mots, ceux qui célèbrent la nature éternelle, déboule avec sa guitare et enchaîne, pour bousculer mes alexandrins, avec de très courts textes reflétant l’harmonie de son affection pour Apollinaire, Prévert et Brassens. Et moi, exilé sur le sol au milieu des huées, mes ailes de géant m’empêchaient de marcher.
Michel Fuchs, albatros cheminot et alsacien chemineau, titille depuis l’adolescence la muse, il écrit des chansons et de la prosodie sans rimaillerie, et affirme, péremptoire, que la poésie c’est un mode de vie qui permet de trouver le bonheur sur cette planète qui tourne de travers. Par exemple « chassez les coiffeurs, jetez les ciseaux, je n’aime que les femmes à queue de cheval ». À l’époque on pouvait, même si cela ne rimait à rien.
Il raconte alors ses promenades à Niedermunster, « la plaine est au loin sous la brume à l’horizon, les pierres sous mes pas me disent leur secret ». Il rencontre la Lorelei au charme envoûtant, et dédie les flots creux des ondes infidèles à Michèle Bur, qui d’ailleurs est ma collègue journaliste à FR3 Alsace. Michel Fuchs, qui est aussi le biographe d’Alfred Kern, se souvient avoir grimpé en courant les pentes du Mont-Sainte-Odile avec l’artiste Jean Dentinger, « on n’avait pas besoin de parler pour se comprendre ». La vie était si simple pour les troubadours du Landsberg et des châteaux d’Ottrott, du Dreistein et du Birkenfels.
Les spectateurs sont tous des amis et donc applaudissent de bon cœur. Je salue l’intrépide poète d’un consensuel « quelle belle soirée… », non me reprend Michel, « le meilleur moment de la journée ce fut lorsque je sortis ce matin acheter du pain frais. Il faisait encore nuit, la vie s’est mise à briller et le pain à croustiller ».
Poésie 20e siècle, Michel Fuchs, 2017, imprimerie Lefranc, Munster.
Ambroise Perrin