Dans quelles circonstances êtes-vous arrivée en Alsace ?
Je suis venue en France car je n’avais aucune chance de vivre de ma peinture dans mon pays natal, la Pologne. Je fais partie d’une famille d’artistes. Pendant la période précédant la chute de mur de Berlin, personne n’en a vécu. Quelques années après sa chute, je suis partie, je suis venue avec mes rêves, mes convictions, et c’est tout. Je suis arrivée à Strasbourg pour faire les Arts déco. J’ai fait mon nid, mais je crois que lorsque l’on est déraciné, on le reste toute la vie.
Même si vous avez passé plus de temps ici, vous êtes toujours de là-bas ?
Il n’y a pas d’ici et là-bas. Il n’y a que nous et notre humanité, ce qui anime nos cœurs et nos âmes. Parfois, il y a aussi cette blessure d’avoir laissé derrière soi ceux que l’on a aimés. Puis on réapprend à aimer. Le reste ce sont des divisions artificielles qu’on renforce pour nous éloigner : genres, races, classes et toute sorte de séparations.
Dans votre vie, avez-vous trouvé ce que cherchent tous les artistes je crois, c’est-à-dire la liberté ?
Je cherchais ma vérité, à être heureuse, à réaliser mes rêves. Les rêves et mes valeurs sont ma colonne vertébrale, ce ne sont pas les autres qui nous emprisonnent, mais nos propres croyances limitantes qui nourrissent nos peurs.
Quels sont vos rêves ?
Ceux qui me connaissent savent que j’ai dû chercher ma force très loin, plus loin que moi-même pour devenir celle que je suis, affronter notre monde et avancer à force de résilience et de courage. Mon premier rêve était d’être cosmonaute, partir loin et explorer l’univers. Mes parents s’y sont opposés, alors je l’ai remplacé par un autre voyage, celui à l’intérieur de soi, à travers l’art et à travers le développement personnel. Depuis toute petite, mon idéal est un monde sans souffrance. L’art est un moyen pour œuvrer dans ce sens, l’éducation est la voix la plus durable en vue d’opérer un changement. La conscience est le début de tout, la promesse d’un monde meilleur et même de l’amour.
Que regardiez-vous de beau ? Qu’est-ce qui était émouvant pour vous ?
Justement, la beauté. Et quelles œuvres ? Quels artistes ?
Ça, je ne le dis pas. Je n’aime pas cette question que l’on m’a posée cent mille fois aux Arts déco. Je n’ai pas envie d’être influencée par le travail d’un artiste qui est unique, j’ai mon propre monde intérieur, et il tellement riche, c’est celui-là qu’on devrait exprimer, avoir le droit d’être soi dans ce monde où il faut faire du copié/collé. Ce sont les textes qui m’ont inspirée. Je me suis toujours tournée du côté des poètes et des Grands Hommes. Lorsque je doutais, ils étaient mes guides, ma lumière dans l’obscurité. J’y puisais ma force et de l’espoir.
Quelle petite fille étiez-vous ?
Ma mère disait que petite je ressentais plus que je pouvais comprendre. J’ai donc énormément travaillé pour y apporter la compréhension, celle de l’autre et du monde. C’était le passage de l’ombre à la lumière. Aujourd’hui c’est ma force. Dans mon travail artistique, je l’ai symbolisée par le taureau qui apparaît seul courant dans sa majesté, vers la lumière.
Pour vous, à quel moment l’envie a été plus grande que la peur ?
Toujours. Quand j’avais trop peur, je sautais dans le vide, l’affronter est le seul moyen de s’en affranchir. C’est comme ça que je suis venue en France. Les gens me disaient que c’était absurde, que j’allais revenir plus vite que j’étais partie, je n’avais même pas le droit d’être là, d’avoir des papiers. Bien sûr que j’avais peur… Je ne connaissais personne, mon français n’était pas suffisant, je n’avais pas les codes pour vivre dans cette société, en traversant le mur de Berlin, c’est comme si j’avais débarqué sur la planète Mars, mais quand la peur a commencé à monter, je me suis dit que c’était le moment d’y aller. Je ne dis pas que c’est facile, mais ça vaut le coup. J’ai toujours eu cette petite voix intérieure qui m’indiquait le chemin, pas toujours le plus facile, mais celui qui résonnait avec mon for intérieur. C’est ainsi pour tout dans ma vie, aussi pour les monolithes, c’était un appel.
Et pour vos taureaux ?
Ils représentent la force, et aussi ma propre bataille pour la lumière. La lumière symboliquement représente la conscience. C’est mon combat pour prendre ma place, face au monde et face à mes propres démons qui nous poussent à chercher des réponses, explorer de nouveaux sentiers. Ils nous permettent de grandir. Tout ce que je gagne, j’ai envie de le partager avec les autres.
C’est bizarre, non ? C’est sans doute une manière de me sauver.
Revenons sur les monolithes, vous êtes en train de travailler sur la quatrième œuvre d’une série de dix !
Oui. Les monolithes émettent un son apaisant qui rappelle le va-et-vient des vagues et véhiculent des messages intemporels et universels, œuvrant pour l’élévation et le bien-être. J’ai toujours été attirée par la matière, c’est beau, c’est riche. J’aime le toucher, et je trouve que l’on ne se touche plus assez dans notre société. J’ai besoin de mettre beaucoup d’émotions dans ce que je fais, comme pour m’assurer qu’il y a encore des cœurs qui battent et qui ne sont pas tous anesthésiés. Quand quelque chose nous touche, le cœur s’ouvre, les gens deviennent eux-mêmes. Avec mon travail, je fais tomber les masques, c’est mon privilège. Cela me nourrit, j’ai besoin de ça.
Quelle est la place de l’amour dans votre vie ?
C’est ce qui me fait vivre. Il y a tellement de choses à dire sur l’amour, l’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour universel, certains disent que tout est amour. C’est la plus grande force créatrice et guérisseuse de ce monde, avec l’amour on est capable de dépasser nos limites, de se surpasser. Dans la haine et la colère, on ne construit rien de durable, avec l’amour, si. L’amour permet de devenir la meilleure version de soi. C’est un état de conscience qui nous transcende. J’ai entendu dire que de l’autre côté, on nous posera une seule question : comment avez-vous aimé ?