Le Schéreschliffer poussait une carriole bringuebalante en bois, avec deux vieilles roues de bicyclette voilées et une pédale d’une machine à coudre Singer qu’il avait ajustée pour actionner la meule en grès rose des Vosges. Une fois installé, on entendait le bourdonnement de l’acier qui crachait des étoiles filantes sur la meule, quand il affûtait les couteaux, le Sackmesser du Babeba, les ciseaux du coiffeur, les couteaux à désosser du boucher-charcutier, ou les couteaux à découper les steaks vum dorf Métzjer. Ah ! C’était le bon vieux temps ! Quand les commères attendaient leur tour toutes autour du Schéreschliffer, lui aiguisait les lames pendant que les bavardes, elles, s’aiguisaient les langues pour dénigrer le voisinage.
REMOULEUR, un métier remis au goût du jour. Ils sont peu nombreux les rémouleurs, affûteurs, une petite poignée à peine en Alsace, mais moi, en sale gosse un peu effronté, je préfère dire Schareschliffler oder Schéreschliffer ça dépend ousque tu habites im Unterèlsäss oder im Oowerélsäss… C’est ça, la grande question ? Des isch die Gros Fröj ! Nundebuckel ?
Allez, venez, venez, ce beau matin, je vous emmène loin, changer le monde mes liewie Maxi-Läser, nous nous évaporons sur mon flamboyant tapis, le célèbre tapis volant des mille et une nuits. Mais ousque allons-nous ? J’entends la petite voix intérieure de certains Maxi-lecteurs. Où nous emmène-t-il, le Dédé Muller, le journaliste baroudeur, dans des endroits encore louches à l’autre bout, du bout de notre Elsass. Un peu de patience !!
Es kommt ! es kommt ! wenn’s belieb. Nous allons rencontrer une belle personne, un rémouleur des temps modernes. Son nom : Nicolas Risser. Ancien chef cuisinier, il avait la Naas Voll ! de la gastronomie toujours cloîtré derrière son piano, quand il cuisinait debout. Nicolas avait besoin de respirer le grand air, sniffer la vie ailleurs, vagabonder sur les routes, les chemins, grimper au sommet des montagnes du nord au sud de notre fringante Alsace, avec sa rutilante camionnette Citroën type H, un ondulé spécialement aménagé en Italie, pour abriter son « Truck » atelier d’affûtage sans attache. Nicolas a le look de l’emploi, il est grand, costaud, barbichu, un béret basque en laine rivé sur sa tête, une chemise à carreaux de bûcheron, un gilet de grand-père sans manche où pendouille une montre à gousset. Nicolas n’affûte pas que les couteaux, il affûte aussi avec grand soin le contact bienveillant avec toute sa clientèle.
Sa camionnette rutilante couleur mastic est garée sur la place du marché aux Choux à Sélestat, Schléttstàdt. Une inscription en gros caractères blancs L’Atelier du rémouleur clame le logo floqué sur son atelier itinérant Pour ma planète je ne jette pas, j’affûte. De plus, Nicolas est tout à fait dans l’air du temps, protecteur de la nature, ne pas gaspiller, ne pas gâcher. Nicolas Risser a bien raison, nous devrions tous faire la même chose, prendre conscience que nous avons besoin de Dame Nature, c’est absolument vital. Mais la Nature elle, a-t-elle besoin de nous les Hommes ? À cogiter ?
Je m’approche de son camion-magasin, son atelier entier tient dans une dizaine de mètres carrés, l’auvent est grand ouvert, l’établi est nickel chrome parfaitement rangé, chaque outil à sa place.
-Bonjour Nicolas le Schéreschliffer, comment tu gazouilles dans ton monde ?
-Ben ! tout va bien ! Salut André, je suis en plein travail, j’affûte les ciseaux de la coiffeuse, elle m’a confié une paire qui coûte plus de 1000 euros, alors je suis concentré et un peu fébrile.
-Tu n’affûtes pas que les ciseaux des salons de coiffure Nicolas ?
-Oh là ! c’est une très bonne clientèle, les coiffeurs, les restaurateurs aussi, des grandes enseignes prestigieuses, comme La Fourchette des Ducs à Obernai, La Villa Lalique, L’Auberge de l’Ill, jusqu’aux restos routiers. Pour continuer à garder un lien avec mes anciens collègues de la restauration. Tu sais mon métier est vraiment passionnant. Tiens, André ! L’autre jour devant le Parlement européen, j’ai affûté plus de 300 couteaux en deux jours, de l’argenterie de valeur. Mes clients me confient aussi des lames de tondeuses, des haches, des sécateurs, des taille-haies, des lames de robots, des mandolines et des couteaux de table. Tout me passionne, tu sais j’apprends tous les jours, ma clientèle est vraiment charmante, vraiment. Cette profession a changé toute ma vie !
– Si c’était à refaire Nicolas, entre ton ancien métier de maître cuisinier étoilé, et le Schéreschliffer d’aujourd’hui ? tu choisses koi ?
-Bonne question André Muller, sans aucun doute Schéreschliffer, j’ai une liberté extraordinaire je suis le plus heureux des hommes, c’est ça aussi André, l’Artisanat avec un grand A. Eh ! Avant de repartir tu peux suggérer à tes Maxi-Läser mon slogan que je martèle sur mon enclume… NE JETEZ plus… ! VENEZ Affûter !
Je suis reparti en tortillard de Sélestat à Strasbourg, j’ai passé une délicieuse journée, j’ai appris plein de choses passionnantes. Le TCHU-TCHU est bondé, ma petite voix, dans mon dedans de moi gazouille la ritournelle de mon enfance : Lumpe, Altiiss, Schokolàpàpir ! Lumpe, Altiiiiiiiiiissssssss ! A très vite les Liewi Maxi-Läser, pour d’autres aventures en couleurs dans un autre petit coin, de notre paradis alsacien.
Le Maxi-trotteur
André Muller