vendredi 22 novembre 2024
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Ce jour-là j’étais là – Le ballet des sorcières à Bergheim

Notre chroniqueur Ambroise Perrin nous propose pour cette rentrée une série qu'il intitule « Ce jour-là (en Alsace !) j'étais là... ». Chaque semaine une intrépide plongée littéraire dans des textes qui jalonnent l'identité de notre région. Cela commence toujours par une date précise pour raconter, avec un peu de dérision, une petite histoire. La littérature ayant le privilège de ne pas vérifier si tout est vrai, il reste l'essentiel, amuser les lecteurs de Maxi Flash.

Le 12 août 1586, c’est un mardi je m’en souviens, je quitte Colmar pour me rendre à Bergheim, une marche de 4 lieues. J’accompagne Pangratz le bourreau, il y a cinq sorcières à exécuter. Le 9 août dernier, on a déjà brûlé Catharina Flöss. À Bergheim, on sait y faire.

On apprend en arrivant que l’une des cinq femmes est décédée après deux séances de torture. Trois autres ont avoué, on peut les brûler, ce sera fait. Mais il y a la Piltin, la femme de Pilt Meyer, un bourgeois de Rorschwiller, qui refuse de passer aux aveux, pourtant, on l’a torturée dix fois en deux jours ! Même le curé l’a questionnée avec des notables comme spectateurs.

Il faut donc attendre. On consulte les jurisconsultes de l’Université de Fribourg et le 20 septembre, après avoir lu un mémoire de 30 pages, le doyen décide que la Piltin, Cristina Meyer, ne doit plus être torturée. Et le 5 novembre, elle est relâchée !
Les archives disent qu’on lui a demandé de payer « des frais de nourriture et de boissons en prison », mais les dépenses pour la torture ne lui sont pas réclamées !  Et elle doit prêter serment de ne pas se venger.

La folie inquisitoriale ne s’arrête pas. Il y aurait eu 1600 sorcières torturées et mises à mort en Alsace entre 1580 et 1630. Le tribunal prononçait de telles sentences : « la condamnée doit être marquée au bras droit par des tenailles rougies au feu, être conduite au lieu d’exécution et marquée au sein gauche de la même manière, puis précitée vivante dans les flammes du bûcher pour y être réduite en poudre et en cendres qui devront être ensevelies, une punition bien méritée et pour les autres un exemple dissuasif ! »

La bru de la Piltin, Barbara Flöss sera brûlée, toujours à Bergheim, le 22 juin 1627. Sa petite fille Catharina est dénoncée, relâchée, arrêtée à nouveau et en 1646, alors qu’elle a déjà 61 ans, le 15 octobre, elle est jugée et peut-être mesure de clémence, décapitée avant d’être brûlée par le bourreau Georg de Colmar. Moi, comme j’étais riche, j’ai fait construire une église pour préserver ma famille d’éventuelles accusations de sorcellerie.

L’effroyable chasse aux sorcières, Gérard Michel et Germaine Braun, 2018, les Saisons d’Alsace, éd. DNA

Ambroise Perrin

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