J’ai croisé ma voisine l’autre jour par hasard dans la rue en allant au Musée Unterlinden.
Elle qui d’habitude est très nature, je peux vous dire qu’elle avait l’air à la rue. Elle m’a prévenu direct qu’il fallait que je sois fort pour entendre ce qu’elle avait à me dire. Alors voilà, ma voisine est complètement déprimée, elle ne sait plus qui elle est, qui est qui, elle m’a dit qu’elle a été victime de fatigue informationnelle. C’est-à-dire que trop d’infos lui parviennent tout le temps et ça la rend dingo. Des alertes intempestives, des push à tire-larigot, elle n’en peut plus ma voisine, elle a envie de faire l’autruche, de s’isoler en Autriche, de se déconnecter du nuage informationnel selon la définition d’Edgar Morin. Sale période pour les voisines.
Je lui ai dit qu’elle n’avait qu’à couper son portable, mais elle m’a répondu que c’était impossible, que si elle est éloignée de son téléphone plus de 5 minutes, elle se sent mal et complètement déprimée, que c’était comme si on lui arrachait un bras. Donc, en fait, avec ou sans mobile, elle est déprimée à cause de son mobile, ma voisine. Voilà, le monde que nous avons créé, il est malade de ses propres inventions, de son génie, de son progrès, de sa vacuité.
Du coup, j’ai tenté une expérience un peu dingue : l’idée était de laisser mon téléphone chez moi et d’aller marcher une heure dans la campagne colmarienne. Il n’y avait pas un nuage, mais c’était dur au début, j’avais envie d’appeler ma voisine tout le temps pour lui dire que j’étais bien dans toute cette verdure, devant tous ces arbres, que c’était beau, mais comme je n’avais pas mon téléphone, ça m’a un peu déprimé. Alors, je suis rentré chez moi et j’ai passé des heures à scroller, à regarder des vidéos du monde, de bricolage, de dérapage, de bavardage, de chats qui se mordent la queue. Et je me suis dit que c’était peut-être dans la nature des choses.