La souffrance
Le passé douloureux n’est pas dans les mots. Il est dans le silence des coeurs souffrants. On peut appeler cela de la pudeur protestante. On peut appeler cela des secrets de famille. Ils sont toujours le résultat d’un sentiment de honte et de culpabilité inavouables.
Et comment oublier que le Dr Schweitzer porte deux prénoms, Louis et Albert, en héritage de deux aïeux décédés trop tôt ? Il a d’ailleurs écrit : « J’étais fort préoccupé de l’idée que je continuais l’existence d’un homme qui avait été si cher à ma mère ». On ne peut pas imaginer que cette histoire familiale faite de drames n’était pas dans l’esprit d’Albert Schweitzer lorsqu’il a prononcé ces phrases : « Le spectacle de la souffrance a accompagné toute mon enfance ».
Autre sujet de souffrance pour le jeune Albert Schweitzer : ses parents connaissent des difficultés. Matérielles tout d’abord. La mère économise par tous les bouts. Le beurre était remplacé par la graisse végétale. Avec cinq enfants à nourrir et les seuls revenus du père pasteur, il faut compter les sous. Ensuite, il y a la santé de ce père de famille qui laisse souvent à désirer. Enfin, il y a le presbytère d’origine. Les murs sont humides, le bâtiment n’est pas loin d’être insalubre avant la construction d’une nouvelle bâtisse. Et que de larmes dans son enfance ! Il les confesse pour son entrée à l’école primaire, il les évoque pour le temps de Noël, on les devine dans son exil à Mulhouse dès l’âge de 10 ans pour poursuivre sa scolarité.
Son éloignement de ses parents et de sa vallée natale le faisait aussi souffrir. C’est lui-même qui emploie ce mot. Il écrira : « C’était une douloureuse privation de ne plus entendre les sermons de mon père ». Albert Schweitzer ajoutera : « Je n’ai jamais connu la véritable joie de vivre si naturelle à la jeunesse. J’ai souffert de toute la misère qui m’apparaissait dans le monde ». Son histoire personnelle l’a rendu attentif au monde dans son ensemble. Il a fait le chemin du particulier à l’universel. Tous ses capteurs sensoriels et émotionnels ont toujours été à vif. Il en a fait sa singularité, sa force et finalement son génie.
Francis Guthleben publie cet automne Albert Schweitzer intime aux éditions AISL. L’ouvrage regroupe 100 témoignages sur le Prix Nobel de la Paix recueillis dans le monde entier.
Chronique rédigée par Francis Guthleben