lundi 24 novembre 2025
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Philippe Lutz – Alsacien malgré lui

Il est né ici. Il a grandi ici. Pourtant, son rapport à l’Alsace a longtemps été complexe. Lorsqu’il a pris la plume, qu’il est devenu écrivain, il a d’abord écrit sur d’autres pays. Puis un jour, il a fini par parler de sa région natale, à travers des ouvrages devenus des références dans le monde de l’Alsatique. Et il n’en a manifestement pas terminé. Philippe Lutz vient de sortir Lettres d’Alsace, aux éditions Médiapop. Dans cet ouvrage sous forme de recueil, il livre sa définition de l’Alsace. Une définition qu’il a aussi donnée à Maxi Flash.

Bien avant de devenir écrivain, le livre était déjà très présent dans votre vie ?

Oui, il l’a été dès mon enfance. J’étais enfant unique alors les livres, c’étaient mes copains (rires). Professionnellement parlant, j’ai d’abord été professeur de Lettres. Mon rêve, c’était plutôt d’être archéologue, mais, parce que ce n’était pas un métier valorisé, le conseiller d’orientation m’a dit : « Faites prof de Lettres et vous ferez de l’archéologie par plaisir (rires) ». J’ai donc été prof jusqu’à mes 44 ans, en 1994. Puis j’ai eu envie d’une nouvelle aventure, j’ai toujours été curieux de tout. Et à cette époque est né le projet de créer une médiathèque à Sélestat. Ils recrutaient une sorte de chef de projet pour piloter l’ensemble de l’opération et diriger l’établissement. Assez naïvement, j’ai envoyé ma candidature. Et j’ai été retenu. Ça a été ma deuxième carrière. Donc effectivement, le livre a toujours fait partie de ma vie.

Et comment êtes-vous arrivé à l’écriture ?

Je me suis mis à écrire assez tôt, quand j’étais enfant. Des poèmes, des choses comme ça. Adulte, l’écriture est venue d’un séjour au Japon qui m’a beaucoup marqué. J’étais fasciné par ce pays. Alors j’ai eu envie de transcrire de façon romanesque mes impressions du Japon. Ça a donné lieu à un roman qui a été publié par Belfond et qui a assez bien marché : Il neige sur Kyoto. Par la suite, j’ai un peu mis ça de côté. Je m’y suis remis il y a une quinzaine d’années. Je fréquentais notamment depuis des décennies la Grèce. Elle était devenue ma deuxième patrie. Un peu comme pour le Japon, j’ai eu envie de raconter cette passion. Ça a donné lieu à : Îles Grecques mon amour. J’ai des choses qui vivent en moi, des passions, et ce sont elles qui donnent lieu à des livres. Passionné par la photographie ancienne, j’ai aussi fait un gros bouquin avec un ami collectionneur sur l’histoire de la photographie alsacienne de 1839 à 1939.

Vous vous êtes en effet essayé à différents modes d’écriture. Alors, comment résumer le style Philippe Lutz ?

Ha, bonne question ! Disons que le mode d’écriture dans lequel je suis le plus à l’aise, c’est l’essai. C’est une forme assez libre dans laquelle je mêle à la fois des expériences personnelles et des réflexions inspirées par des lectures ou des choses que je vois. J’y suis plus à l’aise que dans la forme romanesque, qui demande plus d’imagination. Mes bouquins sont avant tout des livres d’expériences, intimes et intellectuels.

Lettres d’Alsace, le dernier livre de Philippe Lutz. / ©DR
Justement, votre dernier ouvrage, Lettres d’Alsace, ressemble à un essai. Quel est son concept ?

L’année dernière au Festival du livre de Colmar, mon éditeur m’a demandé d’écrire un livre, Mon dictionnaire de Strasbourg. Je lui ai répondu que je suis absolument incapable de faire ça, que je ne saurais pas quoi raconter, mais que je pourrais en revanche faire le dictionnaire de l’Alsace. Puis, dans les jours qui ont suivi, j’ai compris très vite que je n’avais pas envie de faire un dictionnaire de l’Alsace (rires). Je ne suis pas Wikipédia ou Chat GPT. Donc je me suis demandé ce que je pourrais faire. Je me suis servi du mot dictionnaire pour donner une forme au livre, c’est-à-dire un ordre alphabétique. Ensuite, je me suis demandé : qu’est-ce que c’est, « mon Alsace » ? Résultat, ce livre est devenu un méli-mélo, un mix entre un autoportrait alsacien et un récit de ce que peut être l’Alsace aujourd’hui. J’y donne ma vision de ce territoire à travers mon expérience sensible et intellectuelle.

Vous l’avez dit, vous y abordez différents thèmes. Comment les avez-vous sélectionnés ?

Ça a été le premier boulot. Avec l’ordre alphabétique, j’avais 26 entrées possibles, pour les 26 lettres de l’alphabet. En tant qu’amateur de vin, je me suis dit que je pouvais commencer par ça. Mais il y a aussi la cuisine, la géographie, l’histoire, la langue. Les thématiques se sont peu à peu alignées. Cela donne des chapitres indépendants, qui en même temps s’appuient les uns sur les autres. Le premier, c’est « Am Zoll, À la douane ». Le deuxième, c’est « Bibliothek, Bibliothèque ». Ainsi de suite. C’est venu tout seul, mais je dois dire que je n’aurais pas pu l’écrire il y a trente ans.

Pourquoi ?

Je suis né alsacien et toute ma famille est alsacienne. Mais je n’aurais pas pu l’écrire avant car c’est petit à petit, au cours de ma vie, que je me suis constitué comme alsacien. Plus jeune, je ne l’acceptais pas totalement, pour plusieurs raisons. Notamment parce que les Alsaciens sont souvent moqués pour leur accent, parce qu’ils sont considérés comme des « Schleus ».

Il y a aussi eu un traumatisme énorme quand j’étais adolescent : la découverte de la Shoah et donc le fait que mes racines germaniques sont mêlées aux Allemands qui ont commis cette monstruosité. Je n’étais pas un Alsacien enthousiaste d’être alsacien. Ce qui explique que je me sois tourné vers d’autres cultures comme la Grèce. C’est petit à petit que j’ai commencé à me sentir à l’aise comme alsacien, notamment à travers l’expérience de la marche, quand j’avais une quarantaine d’années. En marchant à travers le territoire, je me suis construit mon Alsace. Comme un puzzle qui s’est mis en place.

Donc pour être alsacien, il ne suffit pas de naître en Alsace ?

Non, je ne crois pas. Alsacien, on le devient aussi. En tout cas, c’est mon sentiment. Je suis beaucoup plus alsacien aujourd’hui qu’il y a quarante ans, c’est une certitude. Quant à savoir ce que représente l’Alsace pour moi, il faut lire le livre pour le savoir (rires).

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