Simone Morgenthaler : Comment vous est venue cette idée ?
Jocelyne Gries : C’est à la suite d’un premier livre, Le murmure des serrures, écrit à l’Ehpad il y a dix ans. L’aventure avait été tellement belle et forte qu’il fallait que je la réitère. J’ai trouvé huit plumes pour les sept résidents qui participaient à l’aventure. Ces plumes sont des bénévoles de notre association Ensemble contre la solitude, du personnel de l’établissement et une fille de résidente.
Quels obstacles fallait-il surmonter ?
JG : Ce fut facile et difficile à la fois, car il fallait expliquer le projet, respecter les paroles des résidents, les aider, surtout rassurer les plumes, car beaucoup ont douté de leur capacité à savoir le faire. Nous avons eu beaucoup de craintes aussi de ne pas être à la hauteur, de ne pas comprendre les consignes, de devoir dévoiler ses faiblesses devant d’autres personnes, la peur d’être jugés aussi.
Les résidents se confiaient-ils aisément ?
JG : Oui, ils se sont sentis écoutés, entendus. En avançant séance après séance, on les sentait prêts et déterminés à aller jusqu’au bout. Ils prenaient de l’assurance. Nous avons ainsi découvert leur chemin de vie, des passages de vie que nous ne connaissions pas, liés à une boîte à couture, un mirabellier, un lit d’enfance, le tricot, la saveur de l’instant, le goût des autres, etc. C’est très enrichissant pour nous, les accompagnateurs du quotidien. On cerne mieux la personne avec ses périodes de joie et de tristesse.
Comment ont réagi les résidents à la vue du livre imprimé ?
JG : Ce fut un bonheur lors de la fête de Noël de l’établissement, lorsque je leur ai annoncé que l’ouvrage était là, tout chaud, qu’ils allaient enfin le découvrir. Quel bonheur réciproque lorsque je le leur ai remis ! Je repassais rapidement dans ma tête le chemin pour y arriver. Ils étaient tellement heureux, certains n’arrivaient pas à y croire. J’étais à cet instant si fière d’eux. Quelle satisfaction pour eux, quelle valorisation, quelle estime de soi ! Ils sont acteurs à part entière de ce résultat auquel ils croyaient à peine. Jamais, ils n’avaient imaginé qu’en Ehpad, ils écriraient dans un livre.
Comment avez-vous réagi en obtenant les narrations de personnes d’un âge avancé, parlant de leur jeunesse, avec des photos à l’appui ?
JG : J’aime entendre les histoires de « dans le temps de mon père, de ma mère … », je me régale à chaque fois. Refaire le chemin est d’une telle richesse, les mots sont d’une telle force et d’une telle puissance aussi. C’est une mise à nue à chaque séance. Je me dis que j’aurais bien aimé que ma grand-mère me raconte tout cela, mais c’est trop tard pour moi, et je le regrette tous les jours.
Encouragée par cette réussite de Prête-moi ta plume, prévoyez-vous une suite ?
JG : Monter un projet comme celui-ci demande énormément de temps, et passe par un appel à projets afin d’être subventionné si le projet est retenu, car cela à un coût financier non négligeable qui ne peut en règle générale pas être financé par les établissements. Alors, pour ma part, je ne pense pas pouvoir sortir un tome 3, mais je suis en réflexion pour une approche sous une forme un peu différente, mais aussi à base de vocabulaire enfoui. J’ai le fil conducteur en tête, j’ai l’envie de faire. Me reste à trouver un intervenant spécifique, mais chut, c’est en pleine réflexion, et cela verra peut-être le jour en 2024.
Quelle est votre phrase préférée ?
JG : Celle du sage chinois, Lao Tseu : Quand tu accueilles quelqu’un, pense à tout le chemin qu’il a fait pour venir jusqu’à toi.
Prête-moi ta plume, ABCD’hier et d’aujourd’hui peut s’acquérir au prix de 18 € à la maison de retraite du Stift, 5, allée Ste-Famille 67520 Marlenheim
L’info en plus
Une exposition Portraits croisés se déroule actuellement au Trèfle à Truchtersheim jusqu’au 30 juin. Elle est destinée à libérer la parole dans les Ehpad. Ces portraits ont été réalisés dans le cadre d’un échange entre les personnels des Ehpad de Marlenheim et Willgottheim. www.kochersberg.fr