Comment votre aventure boulangère et alsacienne a-t-elle commencé ?
À l’origine, j’ai fait des études d’architecture. Mais j’ai fini par quitter ce milieu. À 22 ans, il fallait que je travaille. Je suis tombé sur la pâtisserie et j’ai continué là-dedans. Je me suis formé 3 ans en pâtisserie française au Japon avant de partir. J’aimais bien regarder ce qui se faisait dans d’autres pays et la France est le premier où je suis allé. Il y a 20 ans, j’ai acheté un billet d’avion. J’ai juste pris un sac à dos et 1 000 euros dans la poche. Une fois arrivé, j’ai commencé à chercher du travail.
Pas facile ?
Quand j’étais jeune, je pensais qu’à Paris, il y avait plein de travail, mais je n’avais pas d’hôtel et je ne parlais pas français (rires). J’avais juste appris « bonjour » et « merci », dans l’avion (rires). J’ai même pensé à dormir dans une gare. Heureusement, je suis tombé sur la Maison Ferber. J’y ai trouvé un poste. J’ai toqué et j’ai dit : « J’ai envie de travailler chez vous ». Elle était débordée, il y avait beaucoup de travail, mais Christine Ferber m’a dit : « Demain tu viens à 6h ». Ça a commencé comme ça il y a 20 ans, à Niedermorschwihr. J’ai tout appris chez elle : le français, le métier de boulanger, de pâtissier, le chocolat, la confiture, la confiserie.
Au bout de 6 ans, je suis parti, avec l’idée de m’installer à mon compte en France. Dans le même temps, Paul Petersen, qui a aussi travaillé chez Christine Ferber, m’a proposé qu’on s’associe un jour. Mais moi, je voulais encore me perfectionner en tant que boulanger. Donc je suis allé travailler à Paris pendant 3 ans, chez Dominique Saibron. C’est vraiment connu au Japon, c’est une très grande maison. Ensuite, je suis revenu m’installer en Alsace.
Et c’est là que Maison Hirose est née ?

Oui. En France, il n’y a pas beaucoup de boulangers bio et ce n’est pas facile de créer un commerce, c’est cher. Alors, avec Paul Petersen, on a choisi un local de fabrication de 800 m2 à Andolsheim et la vente à des professionnels. On commençait à cuire le pain à 3h du matin et on allait livrer les clients, des hôtels, des restaurants dont l’Auberge de l’Ill, des magasins comme Biocoop, ou encore des cantines. Petit à petit, ça s’est développé. Aujourd’hui, on a 150 clients professionnels par jour, 35 employés et 3 boutiques : Sélestat, Colmar et Orschwihr. On a continué les livraisons et en même temps on a développé les points de vente. Plusieurs voitures partent chaque matin vers Montbéliard ou Haguenau.
Pourquoi aimez-vous le domaine de la pâtisserie ?
En boulangerie-pâtisserie, chaque création est unique. Si je fais un éclair et que vous en faites un aussi, ça ne sera jamais le même. Alors que dans une usine, tout est pareil. J’aime aussi le travail de bons ingrédients, avec des produits locaux. Par exemple notre farine vient du Moulin du Petit Morin à Verdelot. Les oeufs sont de la Ferme Richart à Roppentzwiller. Notre entreprise, c’est une boulangerie-pâtisserie uniquement bio. Cela nécessite de travailler les produits beaucoup plus, et c’est une source de motivation, il faut respecter les ingrédients et le travail des gens qui les ont faits. Le côté local est important parce que du bio qui fait 300 kilomètres d’avion, ce n’est pas ce que je cherche… Il faut prendre des produits d’ici. C’est donc tout cela que je trouve très intéressant dans ce métier, ça m’a poussé à continuer.
Qu’est-ce que la patte Hirose ?

Je suis Japonais, la culture est différente de celle des Français. Il y a plein de positif dans les deux. Au Japon, les gens travaillent beaucoup plus, ce n’est pas 35, mais 40 à 50 heures par semaine. Ils sont vraiment perfectionnistes et organisés, jusqu’au bout. Et moi, j’aime bien mélanger les deux cultures. En France, ce que j’apprécie, ce sont les idées, la créativité. Donc je mélange ces mentalités. Et puis vous savez, 70% de mon temps est encore pris par la fabrication. Rien qu’hier soir et ce matin, j’étais en production. J’ai envie de travailler manuellement et ça me permet d’évacuer le stress. J’ai ça en moi, ce besoin de continuer de fabriquer.
20 ans après, la réussite est au rendez-vous. Comptez-vous retourner au Japon ?
La réussite, on va dire qu’elle est en cours (rires). Concernant le Japon, je suis en train de me pencher dessus. Je devrais bientôt y retourner, j’ai envie de travailler là-bas, c’est un projet. Je dois visiter pas mal d’endroits, rien n’est validé. Mais je suis tellement content de vivre ici. Même si je m’installe au Japon, je ne quitterais pas l’Alsace. J’aime beaucoup la cuisine alsacienne, le vin, le fromage, c’est magnifique, j’adore ! Et les gens aussi. Les Alsaciens sont vraiment sympas. Par exemple, un étranger qui fait des sushis et qui fonctionne, au Japon je ne peux pas l’imaginer. Ce sont les Japonais qui font les sushis.
La boulangerie, c’est la culture française. Alors moi, un Japonais, qui fais de la boulangerie ? Pourtant, les gens l’ont accepté. C’est incroyable.
Repères
2005 : Il arrive en France et débute sa formation dans plusieurs grandes maisons.
2015 : Création de Maison Hirose à Andolsheim avec Paul Petersen.
2017 : Ouverture de la boutique de Colmar.
2017 : Ouverture de la boutique d’Orschwihr.
2019 : Ouverture de la boutique de Sélestat, la dernière en date.
Ses préférences
Un film : Mon voisin Totoro, de Hayao Miyazaki
Une musique : La musique japonaise
Des pâtisseries : Les créations de Pierre Herm.
Un livre : Chinmoku, de Shūsaku Endō (adapté en film sous le nom de Silence, par Martin Scorsese en 2016)
Un endroit hors d’Alsace : Yokohama, sa ville de naissance
L’info en plus
Maison Hirose a également un service épicerie, avec du vin, du crémant et des crackers.