Votre parcours débute par des études d’art. Comment en êtes-vous venu à reprendre les vignes familiales ?
Je suis née et j’ai grandi ici, mais j’ai toujours voulu partir en ville. Ça peut se comprendre quand on passe son enfance dans un village. Du coup, j’ai fait des études artistiques à Strasbourg. Quand j’ai terminé ma licence, j’ai voulu faire quelque chose de mes mains. J’ai expérimenté plusieurs techniques : sculpture, dessin, peinture. Puis un ami orfèvre en Suède m’a initiée pendant 1 mois. J’ai adoré le fait de transformer le métal, de partir d’une plaque et d’en faire quelque chose en volume.
Cet ami m’a dit qu’il avait étudié en Allemagne à Pforzheim, la ville de l’orfèvrerie. J’y suis allée dans une école pour un cursus de trois ans, mais je n’ai fait qu’un an et demi parce qu’il y a eu le Covid en 2020. Les frontières allaient fermer, alors je suis revenue ici, à Katzenthal. C’est à ce moment-là que j’ai finalement décidé de reprendre l’activité viticole familiale. En revenant, je me suis rendu compte qu’il y a une qualité de vie incroyable ici. Ça a été une révélation.
Et vous avez alors décidé de mêler l’art et le vin.
Oui, je me suis dit : pourquoi ne pas continuer les bijoux et faire du vin en même temps ? J’ai associé ce côté artistique et le vin. Donc avec mes parents, on a construit une micro cave, il y a trois ans. Et mon habitation à côté, avec l’atelier attenant, date d’il y a quatre ans. Ce sont des constructions écologiques, avec une isolation en paille, une structure en bois et crépi à base de miscanthus. Concernant la partie vin, on est passés de 7 hectares de vignes à 1,8. On a décidé en famille de faire une décroissance joyeuse. On fait entre 6 000 et 8 000 bouteilles par an, plutôt à l’export : Canada, Chine. Les États-Unis, pas trop en ce moment (rires). Et nous faisons uniquement des vins nature. Quant à ma marque, elle s’appelle Tack&Glou. Tack c’est pour le bruit des outils dans l’atelier et donc les bijoux. Glou c’est pour le vin et le bruit de la fermentation dans la cave.
« On a décidé en famille de faire une décroissance joyeuse »
Qu’est-ce que la « décroissance joyeuse » dont vous parlez ?
En général dans un domaine viticole, on essaie toujours de devenir plus grands. Nous, on a voulu prendre le contre-pied de ça et volontairement devenir plus petits, pour se concentrer sur des vins de qualité et accompagner le processus de fermentation. Notre histoire est faite de cycles. Mes parents sont passés en biodynamie en 1999. Là c’est un nouveau cycle encore, il y avait une envie de changement. Et mes parents sont ouverts.
En plus, on a toujours eu une réputation d’avant-gardistes et d’hurluberlus (rires). Nous avons aussi cette volonté de faire plusieurs activités sur le même lieu.
Les petites exploitations qui cumulent les activités, est-ce un modèle d’avenir ?
La diversité, avoir plusieurs cordes à son arc, c’est l’avenir. De plus en plus de jeunes vignerons et vigneronnes associent deux activités. Il y a par exemple un vigneron rappeur, un autre poète. Donc oui, je pense que ça l’est. Le monde est changeant en permanence et cela donne un côté plus humain, on tisse un réseau local. À ce sujet, on est dans une association qui s’appelle l’AVLA, l’association des vins libres d’Alsace qui regroupe les vignerons de vins nature. Je fais aussi partie des diVINes d’Alsace depuis 5 ans.
À propos de diversification, vous faites donc des bijoux en plus du vin ?

C’est ça, dans l’atelier juste à côté de la cave. Mais c’est plus un lieu d’expérimentation. Les bijoux que je fais sont inspirés du vin, mais aussi de la fermentation. J’ai par exemple fait du kombucha pour en boire et j’ai fait sécher la couche apparue à la surface. En approfondissant mes recherches, je me suis rendu compte que ça créait une matière translucide et résistante, comme du cuir. Pour la mettre en valeur, j’ai élaboré des mobiles, une pièce en équilibre. Et ça fait un parallèle avec la fermentation dont l’équilibre aussi est fragile.
« On a toujours eu une réputation d’avant-gardistes et d’hurluberlus »
Au final, j’ai créé un mobile dont on peut enlever les éléments pour les porter en bijoux, mais sans pierres précieuses. J’appelle ça des bijoux d’espace et des objets à porter. Voilà pourquoi je me considère plus comme une designeuse que comme une bijoutière.
Chaque année, je sors deux millésimes, un de vin et un de bijoux. Une année j’ai fait la collection « Parti en vrille ». J’ai pris des vrilles de vignes, j’ai placé des bijoux dedans, et la vigne s’est entortillée autour. Ensuite, j’ai récolté le bijou et ça a donné une cocréation avec la vigne. J’ai aussi fait le millésime « Pierre de vin », des bijoux à base de plaques de tartres issues des tonneaux. J’ai une boutique en ligne, mais je vends aussi directement à l’atelier.
Quel lien faites-vous entre le vin et les bijoux ?
Le lien se voit notamment à travers les étiquettes, que j’élabore moimême. Et puis le vin naturel est mis directement dans la bouteille quand il est en fermentation. C’est assez délicat. Il y a ce côté transformation de la matière par la fermentation tandis que dans les bijoux, on transforme le métal, en partant d’une simple plaque. En plus, c’est quand même incroyable de se dire qu’on part d’un raisin et que ce sont les levures déjà présentes naturellement qui vont le transformer et libérer les arômes. C’est la magie de la fermentation.
Repères
- 2015 : Début de sa formation d’arts plastiques.
- 2018 : Elle débute sa formation en Allemagne.
- 2020 : Retour à Katzenthal pour associer création et vin.
- 2021 : Son logement est construit.
- 2022 : Construction de la nouvelle cave.
Ses préférences
- Un réalisateur : Quentin Dupieux, « pour son côté décalé et absurde »
- Un auteur : Alain Damasio
- Un musicien : Le pianiste allemand Niels Fraham
- Un endroit hors d’Alsace : Nantes, « une ville très inspirante »
L’info en plus
Le dernier millésime de vin d’Élisa Klur devrait être l’Imagin’Air, un assemblage de Riesling, de blanc de noir et de Muscat.


