vendredi 22 novembre 2024
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Alain Bashung – Deux ou trois choses que Simone Morgenthaler sait de lui

En passant à Wingersheim, devant la maison où Alain Bashung a grandi, j’ai vu que la vigne se faufilait dans les cordes de la guitare accrochée sur la façade.

J’ai trouvé touchantes ces feuilles et ces vrilles qui s’agrippent aux cordes comme des doigts d’elfes alors que l’artiste nous a quittés en 2009, après une dernière tournée mémorable et plusieurs consécrations aux Victoires de la musique. La maison à colombages, joliment restaurée par Pascal Wolf, l’employé communal, qui en est le propriétaire avec sa femme Francine, fut celle d’Elisabeth Baschung, la grand-mère allemande de l’artiste, avec laquelle il passa son enfance et son adolescence, avant de rejoindre à 12 ans à Paris sa mère, Geneviève, ouvrière, et Charles Baschung, son père boulanger.

J’ai pris récemment une photo de cette guitare pour la partager sur ma page Facebook en précisant que cette vigne visitant la guitare me rappelait cet extrait de la chanson Elsass Blues dont les paroles sont de Boris Bergmann (qui fut avec Jean Fauque, l’un des principaux paroliers –et aussi l’ami– d’Alain Bashung) :

Elsa encore un verre de sylvaner
Pour graisser le rocking-chair de grand-mère
Mets ton papillon noir sur la tête
Je te ferai un câlin ce soir après la fête.

Les réactions des internautes témoignent de l’amour et de la fierté voués à cet immense artiste écorché vif. Certains précisent qu’ils l’ont connu, que leur père ou un proche était à l’école, ou enfant de chœur avec lui. Une femme avoue, un rien gênée, qu’elle ne savait pas que l’artiste était alsacien. Il lui fut répliqué qu’il n’y avait pas de quoi être gêné, car Bashung avait un rapport douloureux avec l’Alsace. Ses années dans ce village, où il a grandi avec l’alsacien comme langue maternelle, l’avaient positivement marqué, mais elles devinrent amères lorsqu’il apprit par ses copains, à la sortie de l’enfance, qu’il n’était pas le fils de celui qu’il pensait être son père.

La maison de Wingersheim où Alain Bashung a grandi, située rue de la Libération devenue en 2017 rue Alain-Bashung. Mulhouse a aussi une rue qui porte le nom de l’artiste. / ©S.Morgenthaler

Au prix d’un entêtement et de mille galères, il parvint, à partir des années 80, à devenir une référence, avec sa musique à part et cette voix au timbre unique, tout en imposant son nom de naissance, avec la lettre « c » en moins. Oublié les pseudos David Bergen et Hendrick Darmen dont le showbiz l’avait un temps affublé. À son décès en 2009, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, écrivit : « C’est un prince qui ce soir nous a quittés, un immense poète, un chanteur engagé. Nous prenons congé d’un immense artiste qui marquera l’histoire de la musique. Nous saluons un homme que chacun aimait. »

Pascal Nègre, le président d’Universal Music France, dont le label Barclay produisait les disques d’Alain Bashung, écrivit qu’il était « un des derniers géants de la chanson française, un esthète absolu, avec un univers unique, qui a rejoint au firmament Brel, Barbara, Brassens, et Ferré. » Je me souviens d’un concert d’exception vécu à La Laiterie à Strasbourg le 29 novembre 2004, pour la clôture de la manifestation Voix croisées organisée par Artefact PRL avec le Conservatoire national de région avec un dispositif orchestral resserré autour du chant, une nouvelle lecture du répertoire avec une interprétation du Cantique des cantiques, long et puissant texte de la Bible, interprété par Bashung et sa femme, la comédienne et chanteuse Chloé Mons, sur une musique de Rodolphe Burger, suivi de l’interprétation de toutes les chansons de l’album Fantaisie militaire.

J’avais pris contact avec Alain Bashung en 1996 pour mon livre À la table de Simone dans lequel j’évoquais des Alsaciens célèbres et leur plat préféré. Je savais qu’il raffolait des Dampfnüdle, ces petits pains moelleux cuits dans une marmite, servis avec une soupe de légumes ou des fruits au sirop. Mais ce plat avait déjà été retenu par le paléontologue Herbert Thomas. J’ai tenté de contacter Alain Bashung en envoyant lettres et fax, à des secrétaires, des attachées de presse, à sa maison de disques et à son producteur pour connaître son choix. Je l’ai talonné à distance dans ses déplacements, perdant et retrouvant sa trace en province, à Paris, en Chine, ou en tournage. Il était insaisissable, jamais à portée de téléphone. Le mettais-je en danger avec mes recherches ? Avait-il jeté son dévolu sur un dessert inavouable ?

Je m’apprêtais à déclarer forfait, lorsqu’un soir j’entendis la voix de Brigitte, sa collaboratrice, me laissant ce message : « Alain aime l’éclair au café, mais surtout le vacherin glacé avec une préférence pour le parfum café ». C’était ce dessert-là, associé aux repas de famille et aux fêtes de village, qui l’avait marqué durant son enfance et son adolescence alsaciennes.

Le vacherin au café, dessert préféré d’Alain Bashung, qui figure dans le livre À la table de Simone (La Nuée Bleue 1997). / ©Marcel Ehrhard

Lorsque j’obtins cette info, j’en ai informé Hubert Maetz, le chef de Rosheim, mon complice de la série télé Sür un Siess et qui le fut aussi pour le livre À la Table de Simone qui parut en 1997 aux Éditions de La Nuée Bleue. Hubert réalisa pour lui ce beau vacherin, qu’il décora avec les initiales du chanteur réalisées en meringage. La styliste Josiane Weyrich se mit en quête de la guitare, des affiches, des photos et des disques présents sur cette photo, qui est signée Marcel Ehrhard. Comme phrase forte à faire figurer dans le livre, Bashung m’avait transmis celle-ci : « La musique m’a permis de nouer des rapports passionnels avec les gens. C’était bien à cela que je rêvais quand j’étais gosse : avoir des émotions fortes, me sentir vivre ».

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