Au fil de l’eau, sur le Muhlbach, un cours d’eau alimenté par les eaux souterraines, une heure de balade, il fait beau, un soleil radieux, le bruissement de l’eau translucide. On verra peut-être en scrutant les rives d’un côté à l’autre, le rongeur semi-aquatique, un taille-crayon d’origine lointaine ! Suspense ! Nous partons bourlinguer, sur une barque à fond plat, construite par mon invité ! En alsacien, on dit A’Schïffele ! Surprise ! Surprise !
D ’letscht un D’bescht
À Muttersholtz, il existe le tout dernier calfateur, son nom est bien alsacien, Unterstock = rez-de-chaussée. Patrick Unterstock est un homme sage, l’ami des hommes, l’amoureux de la nature, des arbres, des coquelicots, des castors, des papillons, des aigrettes, des libellules. Un monsieur Tout-le-monde, simple, érudit, une licence pro de guide conférencier, Master 2 d’histoire des mondes germaniques, et une Bretzel d’or. Respect ! Notre gondolier a même rédigé un mémoire de 300 pages, sur la navigation au 18e siècle, entre Colmar et Strasbourg. Il décrit la rudesse des bateliers qui transportaient des vivres, des barriques de vin, sur des barques de 18 mètres de long, en passant d’innombrables péages chez les moines d’Ebersmunster, les seigneurs de Ribeaupierre, ils taxaient les embarcations pour le droit de passage.
C’est un artisan qui a de l’or au bout de ses doigts, l’unique menuisier des rivières ; son savoir-faire lui a été transmis par ses pairs. Il fabrique des barques à fond plat, de pêcheurs, de bateliers, une tradition séculaire de la navigation marchande sur les bras du Rhin, du Ried, plus récemment sur les méandres de l’Ill, le Muhlbach, sur la Lauch à Colmar pour les touristes de la Petite Venise. Un calfateur calfate la barque avec du roseau, du chanvre, qu’on roule comme un spaghetti entre les interstices des longues planches de 7 à 12 mètres afin de rendre la barque étanche.
Il a le look Patrickkkkk
Il est sympa notre batelier, même look que les gondoliers à Venise, bandana rouge noué autour du cou, vareuse bleue délavée par l’érosion. Patrick est couronné d’un couvre-chef plus large que haut, bordé d’un ruban orné d’une plume flamboyante, comme le célébrissime mousquetaire Cyrano de Bergerac. Il est aussi loquace que Cyrano, théâtral, poétique, il fait de longues tirades, des blagounettes à faire boubouler les hérons cendrés, les hiboux et même les hippopotames si, si, si j’vous l’dis. Patrick, se tient debout à l’arrière de sa barque, poussée par le courant du Muhlbach et la mène en maniant la gaffe. J’ai rendez-vous dans son Calf ’Atelier où il fabrique ses barques.
Toc, toc, y a-t-il quelqu’un ?
Je frappe à la porte-fenêtre ! Quel raffut ! Le charpentier des rivières découpe de longues planches avec sa scie circulaire.
– Oh ! Hé ! il y a quelqu’un ?
– Ya, ya ! Ch’arrive.
Il éteint la scie à ruban. On se serre la main. On s’connaît depuis si longtemps, des reportages sur FR3.
– Salut wilder mit bigoudi, wie getz ?
– Et toi ? Comment tu gazouilles cher André ?
– Alles im butter un fïes im Käs ! Schriner !
Son atelier, c’est un peu la caverne d’Ali Baba, la fragrance douce du bois éveille mes sens, même les sens interdits ! Was ! Sur des tréteaux repose une barque en pin des Vosges, le sol est envahi de copeaux de bois, au plafond pendouillent toutes sortes de rubans à scies rouillés, des 10’z’aines de nichoirs d’oiseaux qu’il fabrique avec les chutes de bois. J’vous l’avais dit, Patrick est un homme au grand cœur, il pense plus aux autres qu’à lui-même.
– Schriner des rivières, tu mets combien de temps pour fabriquer cette barque à fond plat ?
– Autant de temps qu’il faut ! Tu es curieux le journaleux ! Viens, je t’embarque. Tu connais la chanson Laisse les gondoles à Venise ?
– Évidemment, le printemps sur la Taaamiiise ! On est si bien !
On traverse la rue, heureux de nos retrouvailles, en fredonnant ce tube des années 80 de Sheila et Ringo !
On descend les escaliers, nous voilà au bord du Muhlbach. Patrick enfile son costume de batelier, repousse avec son grand bâton de quatre mètres la barque. On quitte la berge. La barque silencieuse glisse sur l’eau, on traverse un tunnel d’arbres aux odeurs de jasmin, de chèvrefeuille, dans l’eau des cheveux d’ange tournicotent au gré du courant, des vitamines pour la ballerine des rivières, la bergeronnette des ruisseaux.
– Dis-moi le gondolier, dans le Ried, la nature est remplie de merveilles ?
– C’est un écrin de verdure, la beauté est partout, le miroitement harmonieux de la lumière sur l’eau. Regarde André, la force tranquille des arbres qui ondulent sous la caresse du vent.
– Tu es un grand poète-conteur Patrick. Hé, dis-moi le poète, qui grignote les saules de l’autre côté de la rive ?
– Les castors, André, tu sais ils se nourrissent de l’écorce des saules, incapables de grimper aux arbres, ils les abattent en taille-crayon pour les grignoter.
Les castors sont de vrais architectes des rivières, ils vivent la nuit quand vous dormez, les Maxi-läsers.
Notre balade touche à sa fin, c’était un doux moment avec notre batelier du Ried, j’ai aperçu des passereaux, des guêpiers, différentes sortes de libellules, et même un martin-pêcheur, l’oiseau bleu, le meilleur pêcheur-plongeur. Un grand merci à toi, cher Patrick Unterstock, « du rez-de-chaussée » comme d’hab’, un conteur hors pair, un livre ouvert, un homme au grand cœur.
On se retrouve dans deux lundis chers Maxi-Läsers pour une nouvelle aventure croustillante, dans un petit recoin de notre paradis alsacien.
Le maxi-Trotteur… Bis Bald.
André Muller