dimanche 6 octobre 2024
AccueilÀ la uneFatima Kibouch - Jamais sans ma liberté

Fatima Kibouch – Jamais sans ma liberté

Fatima Kibouch est originaire de l’Atlas au Maroc. Arrivée en France à l’âge de deux ans, elle est chef d’entreprise et vit à Thann, loin de ses enfants. Il y a six ans, elle a eu « Le courage de divorcer ». C’est le titre de ce livre qu’elle a autoédité, un témoignage sur le processus de manipulation qui mène à tous les abus et aussi un formidable message d’espoir.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

D’abord pour moi et pour mes enfants, car dans l’aliénation parentale, on fait croire à des choses sur l’autre parent. Je me dis qu’en lisant ce livre, ils comprendront. Ils comprendront pourquoi ils ont réagi de cette façon.

Vous n’avez pas vu vos enfants depuis combien de temps ?

Depuis trois ans.

Est-ce le prix à payer de votre indépendance, de votre liberté ? Vous dites que vous avez été volée, mais je crois que pour bien comprendre votre histoire, il faut comprendre d’où vous venez, le lien que vous avez entretenu avec vos parents, votre éducation contre laquelle vous vous êtes battus. Vous écrivez : Mon père m’a clairement dit que, si je me séparais de lui – de votre mari – je n’étais plus sa fille. Il y a aussi cette phrase de votre mère : Si j’avais su que tu serais comme ça, le jour où je t’ai donné la vie, je me serais assise sur toi.

Au départ, je n’avais pas conscience de me battre. Je savais que j’étais différente de mes frères et sœurs. Quand quelque chose ne me convenait pas, je l’exprimais et ça dérangeait, mais je n’étais pas une rebelle, mon seul but était d’être aimé par mes parents. Je me suis marié avec un homme qui cochait toutes les cases pour mes parents. J’ai essayé d’analyser où j’ai pu être actrice de cette histoire, de mon destin. On n’arrive pas dans les griffes de manipulateurs par hasard. Mon enfance m’a forgé à accepter tellement de choses, mais j’ai aussi ma part de responsabilité. Je pense qu’il y a certaines personnes qui voient la lumière ou la noirceur. J’ai vu la noirceur de ma mère, elle le sait. J’ai acquis mon indépendance et la liberté qu’elle voulait sans doute, elle m’a couru après, comme un pervers narcissique qui voit sa proie lui échapper. Elle parlait à mon ex-mari, elle me dénigrait. Du coup, il me disait que ma mère avait raison. Lorsqu’il me « claquait », mon père me demandait ce que je lui avais fait pour « le » mettre dans un état pareil. Je m’arrachais les cheveux au sens propre, comme au sens figuré. C’est un miracle de m’en être sorti. Je parle de l’emprise, de la maltraitance, de l’aliénation parentale.

« On n’arrive pas dans les griffes de manipulateurs par hasard. »

On pourrait croire que ce sont trois problématiques différentes, mais tout est lié, j’ai reconstitué les pièces d’un puzzle. Il y a une autre problématique dans mon livre, celle de l’enfance des femmes maghrébines face à une mère despote, c’est un sujet tabou que vous ne pouvez même pas imaginer. Il y a tout dans cette question, la société patriarcale, la religion, la culture… il y a aussi la question : suis-je une mauvaise fille si je parle comme ça de ma mère ?

C’est un livre sur les conséquences du manque d’amour ?

Oui, aussi… Les conséquences d’un manque d’estime de soi, d’un manque de confiance en soi, et ça on l’acquiert au début de sa vie, avec des piliers, avec ceux qui vous donnent les bases, ceux qui vous arment. Moi je n’étais pas armée. Combien de fois j’ai voulu quitter mon mari ? Peut-être des centaines de fois en 17 ans.

Pourtant, au début, ça s’est bien passé. Mais vous écrivez que les manipulateurs font ça, ils vous submergent de marques d’affection.

C’est le fameux love bombing. Il ne me laissait pas respirer. La journée, il m’appelait plusieurs fois par heure pour me montrer qu’il tenait à moi. Il travaillait de nuit et je restais des heures au téléphone avec lui. Il faisait des choses que personne n’avait jamais faites pour moi, il avait compris que j’étais en manque d’amour, il ne me lâchait jamais. Je me trouvais moche, je me trouvais grosse, j’avais totalement intériorisé tous les discours de ma mère. Il me disait tout le contraire, alors je lui ai confié tous mes doutes et il a surfé dessus à fond, il me disait que j’étais la femme de sa vie.

Et puis, un jour, il y a plus de six ans, un dimanche de 2018, vers 18 heures, c’est le déclic, l’épisode de trop. Vous êtes décidée, vous partez !

Oui. J’ai senti quelque chose de différent, et je pense qu’il l’a senti aussi, il ne pouvait plus me baratiner. À ce moment-là, je me suis dit c’est quoi ma vie ? Ce n’était plus possible de continuer.

Le premier livre de Fatima Kibouch. / ©Documents remis
Je vais vous poser une question étrange, alors que je vous crois, je crois que vous dites la vérité, j’ai lu votre livre, mais qu’est-ce qui fait que votre parole est incontestable ?

Lorsque le livre est sorti, le jour du premier article dans la presse, quelqu’un de ma famille a appelé le journal pour faire un démenti, pour dire que je les avais calomniés. Ils n’ont pas l’énergie pour venir me voir et comprendre pourquoi je suis désespérée de ne pas voir mes enfants, pourquoi j’ai fait ce livre, mais ils ont l’énergie pour remettre en cause mes mots. En fait, je les comprends, car ce n’est pas donné à tout le monde de voir, de concevoir, d’accepter, de dénoncer, de verbaliser que ses parents ne sont pas nets.

Mais vous le payez très cher ?

Oui. C’est la solitude. Une solitude qui me pèse de moins en moins. J’aime les échanges profonds, je ne supporte plus les relations superficielles. Je fabrique ma famille, je côtoie des gens très intéressants. Je fais de l’impro, mon travail me plaît à fond. Mais le prix le plus cher à payer est celui de ne pas voir mes enfants.

Pouvez-vous nous décrire la situation avec vos enfants qui ont aujourd’hui 16 et 13 ans ?

On m’a pris ce que j’avais de plus cher au monde. Ils ont utilisé ça comme une arme contre moi. On leur a mis dans la tête que c’est à cause de moi tout ça, que j’avais fait exploser la famille. Eux, ils ont des repères, une maison, une chambre, des jouets. Du coup du jour au lendemain, il n’avait plus tout ça et à cause de qui ? « À cause de votre mère, qui fait des caprices »… Dès le début et la mise en place de la garde alternée, ils ont été manipulés, au point de ne plus vouloir rester avec moi, au point de provoquer de la violence entre nous. Il s’est passé beaucoup de choses que je décris dans le livre. Mon ex-mari ne me donne plus les enfants, nous sommes devant la justice, je porte plainte régulièrement, ça ne donne rien depuis 3 ans.

Ce livre, qu’a-t-il changé dans votre vie ?

Plein de choses. Il m’a donné de la force. J’ai eu des témoignages de femmes qui vivent la même chose. Je dis que j’ai l’immunité, comme je n’ai pas mes enfants, je n’ai absolument rien à perdre, personne ne peut faire quoi que ce soit contre moi. Je crois qu’on n’est jamais guéri, que c’est un travail de toute une vie, mais franchement je suis à des années-lumière de ce que j’étais avant. Je suis ouverte aux autres, mais j’ai aiguisé mon intuition, j’ai une boussole super efficace, je peux évoluer partout et savoir vers qui je peux aller. Je suis en confiance, je ne cours plus après personne, je suis bien avec moi-même.

Ça s’appelle la liberté ?

Oui, et maintenant que j’ai compris ce que c’est, ça va être compliqué de me l’enlever. Je voulais partager ça, ce livre est un espoir.

Quelle est votre plus grande peur ?

D’abord ma plus grande espérance, c’est de retrouver mes enfants, et qu’ils aient la liberté de choisir leur vie. Je n’ai pas laissé tomber mes enfants, je me bats comme une lionne, je suis là pour eux, j’ai toujours été là, et lorsqu’ils liront ce livre ils en auront la preuve. Ma plus grande peur, c’est qu’ils soient devenus eux-mêmes des manipulateurs. Mon combat n’est pas encore gagné, mais il y a plein de signaux qui montrent que la roue est en train de tourner.

ARTICLES SIMILAIRES
- Publicité -

LES PLUS POPULAIRES