Neige Sinno a choisi d’écrire sur ce pays dont elle a été l’otage, sur ces mains qui se sont emparées d’elle pour ne plus jamais la lâcher, sur ces tigres, le monstre et la colère, qui lentement l’ont dévorée, saisissant le corps et meurtrissant le cœur à tout jamais.
Les faits sont clairs : de l’âge de 6 ans jusqu’à son adolescence, Neige Sinno a été violée par son beau-père. Pour raconter ce qui lui est arrivé, elle a choisi d’abandonner le domaine de la fiction et a préféré mener une « enquête » avec honnêteté, franchise et pudeur pour comprendre les actes de cet homme. Elle tente au travers de ces lignes de percevoir l’origine de ce mal radical, et ce, en questionnant la figure de ce monstre et de la violence sexuelle en général.
Et tout cela prend forme dans un équilibre parfaitement maîtrisé bien loin du voyeurisme qui d’habitude abrite le sujet. Neige Sinno au travers de ses mots tente d’approcher le tigre, animal pouvant se révéler aussi fascinant que cruel. Il y a ce désir pour elle de comprendre cette attraction pour la violence, sans fard, mais sans sensationnalisme non plus avec cet espoir, grâce aux mots courageusement posés, de faire taire la voix de l’agresseur. Mais peut-on oublier une voix à jamais inscrite au cœur de soi ?
Un texte parfaitement juste pour affronter la monstruosité.
Neige Sinno raconte ce qui se trame au fond d’elle, les questionnements, les doutes, scrutant à la loupe la plaie béante de son traumatisme en invoquant tour à tour des références sociales, sociologiques, psychologiques, juridiques ou littéraires, afin de s’approcher au plus près de la vérité et d’éviter l’épanchement. Une manière pour elle de saisir toutes les ramifications liées au sujet, lui permettant une mise à distance et une vision plus large de ce qui a été vécu et un pouvoir d’analyse sur son histoire. C’est d’une intelligence rare. Un récit puissant et percutant, magistral, éclatant et douloureux. À lire absolument.
Isa sur insta : L\’odyssée des mots