En ce temps-là, la radio et la télévision régionale étaient réunies en une seule famille qui œuvrait place de Bordeaux. L’émission de 20 minutes à partir de midi, avant la « Petite anthologie sonore de la poésie dialectale » que proposait Huguette Drach, devait être diffusée sur l’émetteur des OM (ondes moyennes), nommées d’Mittelwelle.
Le concept était simple. Mais comment susciter assez de courrier pour remplir quotidiennement 20 minutes d’antenne ? J’ai écrit à une centaine de communes alsaciennes, en les invitant à me faire parvenir les dates de naissance des personnes âgées. Les communes réagirent vite : je reçus des endroits les plus reculés des listes de personnes avec leurs dates d’anniversaire.
L’émission se mit en place sous quinzaine, en septembre 1976. Il fallait trouver un indicatif. J’ai rapidement rédigé quelques rimes : « Geteildi Freid isch doppelti Freid, Geburtsdaaskinder hitt gibt’s ken Leid, bi uns isch alle Daa Feschtdas, bi un gibt’s luschtigi Geburtsda ». (Joie partagée est joie multipliée, ce jour doit être sans nuages. Chez nous, chaque jour est un jour de fête.) J’ai donné ce texte à Maurice Duflot qui était encore étudiant à l’époque et faisait la manche sous le nom de Mat’s dans les winstubs (il deviendra directeur de l’agence de marketing et de communication Maeva). Il a composé une musique en 24 heures. L’indicatif fut enregistré le lendemain, avec Maurice à la guitare, qui chantait aussi avec sa sœur.
L’émission connut un succès surprenant : en moins d’un mois, je fus submergée par un courrier difficilement maîtrisable : parfois plus de 100 lettres chaque jour. Il devenait difficile de citer toutes les personnes et surtout de diffuser leur vœu musical. La tranche de 20 minutes n’y suffisait plus. Le dimanche, nous remplissions une heure, mais nous aurions pu remplir trois heures d’antenne quotidienne si nous avions voulu diffuser les disques demandés chaque jour. Nous étions toute une équipe d’animateurs à présenter l’émission : Émilienne Kauffman, Monique Seemann, Claire Immelé, Patricia Mertz, Sabine Muller, mais aussi Jean-Luc Baechler, qui deviendra régisseur de théâtre, Elisabeth Best, comédienne du Barabli. Christian Hahn m’a confirmé avoir aussi été de la partie. Lorsque Huguette Dreikaus rejoignit en 1985 la radio – alors dirigée par Charlotte Latigrat et Jean-François Dolisi -, elle présenta de temps à autre cette émission tout en assurant sa chronique D’Léonie vo Klapperschlappersche et celle pour « Arrache-moi la jambe », l’émission de Roger Siffer et de l’équipe de la Choucrouterie. Même Patricia Weller anima cette émission, bien avant qu’elle ne présente avec Didier Poux une émission décapante, et bien avant qu’elle ne crée le personnage de Marlyse Riegenstiehl que tant d’Alsaciens plébiscitent encore.
L’émission « Bon anniversaire » s’est arrêtée en été 1992. Elle fut riche d’enseignements, en géographie entre autres. Il fallait savoir situer chaque village, préciser par exemple, « Sewen en vallée de Masevaux », ou « Siewiller en Alsace Bossue ». Il fallait prononcer le nom alsacien du village avec justesse, savoir que Bernardswiller se dit Batschwiller, Ribeauvillé se dit Ràppschwihr, Nordhouse se dit Nàrds et que Geispolsheim-Gare se dit Kràtz etc.
Nous avions parmi les auditeurs quelques piliers qui rassemblaient les anniversaires de leur village et de ceux voisins. Ainsi Louis Heintz de Riedseltz nous signalait par centaines les anniversaires de la région de Wissembourg. L’abbé Ringenbach nous envoyait les anniversaires de ses deux paroisses de la vallée de Munster : Soultzbach et Wasserbourg.
Pour faciliter le dépouillement du courrier, je demandais aux auditeurs d’écrire sur carte postale. Les personnes âgées écrivaient souvent en allemand, car elles ne maîtrisaient pas la langue française. Elles avaient beaucoup de mal à saisir le nom de la radio : « FR3 Alsace » se transformait souvent en « Réfectoire Alsace ». Certaines écrivaient encore à l’ORTF qui n’existait plus depuis 1974. Mais le facteur savait réajuster le tir et trouver le chemin de notre boîte aux lettres.
J’ai gardé quelques-unes des milliers de cartes postales reçues en seize ans, notamment des anciennes, des émouvantes ou des amusantes. Je reste touchée par ces phrases écrites entre 1976 et 1992 par des personnes fortement attachées à leur radio en langue maternelle dont bon nombre ne sont plus de ce monde.