samedi 21 décembre 2024
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Francis Backert – Les vendanges de la persévérance

Il se décrit très casanier—Francis Backert a passé toute sa vie à Dorlisheim, où il a créé son domaine sur 16 hectares alentour. Pourtant, le président du Synvira (Syndicat des Vignerons Indépendants d’Alsace) s’expatrie souvent pour représenter les vignerons indépendants d’Alsace, ou vendre son propre vin, ou poursuivre sa chimiothérapie. En 2021, un cancer lui a fait reconsidérer ses priorités, et depuis 2023, il prend son rôle de papy très à cœur. Sa fille Lydie va reprendre le domaine, bâti de A à Z selon le principe de Sikorsky qu’il cite : Francis Backert ignorait que c’était impossible, alors il l’a fait.

Vous semblez souvent sur les routes ces dernières semaines, quelles sont vos occupations ?

À l’instant précis, ce sont les occupations d’un patient dans sa quatrième année de traitement contre un myélome multiple, un cancer rare, et il semblerait que ça devrait être ma priorité. Mais ma première occupation, c’est le domaine, même si je suis un jeune retraité. Depuis la fin des vendanges, tous les week-ends sont dédiés à prêcher la bonne parole, pour qu’il y ait un maximum de bouteilles d’Alsace sur les tables. Je me prépare aussi à transmettre le domaine à Lydie, notre fille cadette qui se destine depuis sept ans à la reprise. C’est une jeune maman de 32 ans, et la transition est toute trouvée avec mon nouveau métier de papy, c’est extraordinaire !

Vous avez grandi dans votre fief à Dorlisheim, mais pas dans une famille de vignerons, était-ce un frein ?

J’ai le souvenir d’un cadre familial très aimant, et un souvenir impérissable de ma mère : il y avait dans la famille 40 ares de vignes, une occupation des soirs et week-ends. Le jour avant ma naissance, le 3 avril 1961, elle faisait les arcures dans la vigne, et une goutte de sève a coulé sur sa main et m’aurait contaminé ! C’est ce qu’elle racontait pour expliquer ma folie et mon obstination de la vigne dès l’adolescence. Mais à chaque fois qu’il était question d’orientation, comme mes parents n’étaient pas vignerons, on me disait, arrête de rêver, ça ne s’improvise pas, tu vas faire de la mécanique comme tout le monde !

Je suis allé jusqu’au BTS en métallographie et j’ai travaillé dans ce secteur jusqu’au moment de comprendre que devenir vigneron peut se créer. Ma femme vous dira que mes deux premiers salaires m’ont servi à acheter une parcelle de vignes, alors que la logique aurait été d’investir dans un appart’!

« Avant je vendais des choses sans identité, là je pouvais dire, c’est mon produit, ma sueur »

Vous évoluez pourtant doucement vers le métier de vigneron…

De 1984 à 90, j’achetais des vignes en cachette. En 1990, j’étais dans l’industrie, j’avais une belle vie et un de mes clients allemands me propose de prendre sa succession. C’était un pont en or, mais ensuite je mettais une croix sur mon histoire de vignes… Un choix cornélien, et j’ai choisi la passion plutôt que la raison. Et la suite, c’est le domaine.

La famille s’affiche sur les verres. / ©Dr
Le domaine voit officiellement le jour en 1995, et finalement, toute la famille vous a emboîté le pas ?

Oui. Parallèlement, avec mon frangin passionné de travaux publics, nous avions décidé de nous mettre à notre compte, c’était un tremplin pour me libérer selon les besoins de la viticulture. En même temps, il a investi dans des vignes. En 1998, il y a eu une année noire : en début de vendanges, mon père se fait arracher la main dans le pressoir, un accident qui me laisse encore aujourd’hui un sentiment de culpabilité. C’était à cause de moi, pour moi, parce que mes parents s’étaient raccrochés à ce qu’ils appelaient une connerie au début, au lieu de prendre une retraite bien méritée. Tout comme ma femme Nadine— aujourd’hui sans elle ce serait impossible ! Elle a donné tous ses week-ends pour des salons, elle est à 200% avec moi, et d’une efficacité extraordinaire. Tout le monde a été bienveillant, et rien n’aurait été possible sans cette fédération autour de moi.
Alors que vous faisiez déjà du vin, qu’est-ce que cela change d’avoir votre domaine ?
D’abord le plaisir de présenter à un cercle de connaissances ses vins, son étiquette, dire goûte-moi ça, c’est moi qui l’ai fait, c’est le fruit de mon travail. Avant je vendais des choses sans identité, là je pouvais dire, c’est mon produit, ma sueur. Dans un même temps, on commençait à toucher aux réalités économiques, ce n’était pas si facile que ça, les factures à payer, la rentabilité du projet…

C’est le propre du vigneron indépendant, non ? Vous n’étiez pas encore au Synvira à l’époque ?

Bonne analyse, il y avait sans le savoir cet ADN-là. J’ai dû adhérer vers 2000 au Synvira. Puis il y a eu une place de délégué territorial disponible, et j’avais à cœur de défendre un ADN qui me plaisait bien. J’étais aussi engagé comme 1er adjoint, j’ai passé un quart de siècle au service de ma commune, avec la boîte, ça faisait beaucoup ! J’ai quitté la municipalité en 2020 et pris la présidence du Synvira.

Francis, Nadine et Lydie réunis dans la cave du domaine Backert. / ©Dr
Le Synvira, ce sont 440 adhérents et une fédération Grand Est. Quel est cet ADN que vous défendez ?

Dans Vigneron indépendant de France (VIF), le mot que je ressors, c’est indépendant. Déjà jeune j’avais envie de liberté. Et à 63 ans, j’ai compris qu’il y a des moments dans la vie où la liberté a un prix : j’ai pris ma retraite sans avoir retrouvé le niveau de revenu net disponible que j’avais quand j’ai quitté l’industrie. Il faut que le couple accepte ces sacrifices, que vos enfants ne vous reprochent pas de ne pas avoir de vacances, pour exercer le métier. Depuis quelques années, nous enregistrons beaucoup d’adhésions spontanées, et le nombre d’hectares augmente. La fédération Grand Est a été créée pour parler d’une seule voix avec les Champenois, mettre en commun notre énergie et nos moyens. Indépendant et fédérer, c’est ça l’ADN.

Vous avez aussi initié le projet du Comptoir des vignerons à Strasbourg ?

Pendant toutes ces années, comme un serpent de mer revenait le constat que les vins d’Alsace n’étaient pas accessibles aux habitants de Strasbourg, ni aux cartes des restos. Les acteurs du vignoble ont été nombreux à me certifier que c’était irréalisable, puis à l’appeler le bébé de Francis. Mais un bébé ne se fait pas tout seul, j’ai fédéré des énergies et des compétences autour de moi. Un projet commencé dans les années covid/cancer, pour une ouverture en 2023, et deux cibles : les Strasbourgeois et les touristes. Nous avons réuni 74 domaines de 4 à 120 ha et ça marche très très bien. Tout comme l’idée du pique-nique chez le vigneron, une initiative alsacienne qui a été reprise par les VIF, ou les vendangeurs d’un jour, les apéros gourmands, tout ce qui nous rapproche des consommateurs. Il ne s’agit pas seulement de faire découvrir nos vins, mais aussi nos manières de travailler.

Pour finir, quels vins mettrez-vous sur votre table de Noël ?

En général, on est à six, avec mes deux filles et leurs futurs maris, tous gourmands et gourmets. Ce que je fais, c’est ouvrir entre six et huit bouteilles, très différentes : quelques Alsace de confrères, Nadine et moi sommes très vallée du Rhône, entre Châteauneuf et Côte-rôtie, et Lydie a fait ses études à Beaune, ce n’est pas un hasard si elle aime les Bourgogne ! On goûte tout, chacun se fait plaisir et repart avec la bouteille qui lui a plu… s’il reste quelque chose dedans !

Le vin de Strasbourg

Le Comptoir des vignerons a servi de cadre au lancement du livre édité à la Nuée bleue par l’association la Tribu des gourmets. Créée en 2012, les Backert en sont membres, et Lydie a participé au livre. Les auteurs, Georges Bischoff et Hervé Lévy, reviennent sur l’histoire du vin à Strasbourg en l’illustrant richement, mais Francis Backert y voit plutôt un héritage : « Il est important de savoir que le flambeau est repris, et que les jeunes générations gardent nos valeurs ».

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