Le témoignage s’ouvre sur cette phrase de Raymond, « Marie, surtout ne m’oublie pas ». L’idée de publier ses mémoires vient-elle de votre grand-père ?
Marie Oury : Non, c’est plus large que ça, il avait peur de la mort et d’être oublié. Ce sont vraiment ses derniers mots, et ça m’a tétanisée, je me disais « comment oublier une pierre fondatrice de mon identité ? » Il est décédé en 2009, et je me suis demandé comment partager tout cela. C’est ce qui m’a poussée à retourner à l’université—après m’être expatriée aux États-Unis pour des raisons professionnelles et avoir eu deux enfants—, j’ai intégré les cours du Dr Lyons où nous avons fait des biographies de soldats américains morts en France, et depuis je travaille sur le Florida-France soldier stories. Tous ces projets m’ont donné les outils pour construire le livre sur mon grand-père.
Raymond vous a transmis ses classeurs en 1994, avez-vous pu échanger avec lui ?
Marie Oury : J’avais 20 ans, j’étais trop jeune pour me rendre compte… Par la suite, il n’amenait pas le sujet tout seul, en revanche je l’ai beaucoup questionné. Pour lui, l’objectif était que l’histoire ne se perde pas. Il qualifiait la période de sacrifice, il n’a pas eu de jeunesse, ma grand-mère aussi était remuée…
Quel regard neuf apporte ce livre sur les incorporés de force ?
Marie Oury : Souvent les mémoires démarrent au moment de l’incorporation. Or Raymond aborde toute la période de l’annexion, depuis 1938 à l’École normale d’Obernai, il raconte le système français puis allemand, l’Umschulung… Il a vécu l’évacuation, a été enrôlé dans la Wehrmacht, puis il est rentré dans la poche de Colmar et a fini prisonnier américain.
Quel public souhaitez-vous toucher ?
Marie Oury : Au départ, je me suis dit que mes enfants allaient voir mon grand-père avec une croix gammée et penser, c’est un nazi. Pour moi, il s’agissait d’expliquer la contrainte que ces jeunes gens avaient sur eux. Au niveau académique, il n’y a malheureusement pas de place pour l’histoire régionale. Grâce à ses cartes, le livre a aussi été conçu pour sortir d’Alsace, parce qu’en Floride, on n’a jamais entendu parler des Malgré-nous.
L\’info en plus
Marie Oury a rencontré l’historien strasbourgeois Jean-Laurent Vonau (qui a écrit la préface) par hasard : après le colloque des Incorporés de force au Mémorial de Caen, Marie n’a pas pu rentrer à Orlando à cause d’un ouragan. Elle prend des photos du cimetière américain quand elle voit « M. Vonau, assis seul sur un banc, mais lui ne me connaissait pas ! » (rires) Elle se présente, aiguise son intérêt et lui remet le témoignage qu’elle gardait dans sa voiture… « Après quelques échanges de mails, M. Vonau a appelé I.D. l’Édition et le projet s’est fait. »