Au cours d’une après-midi complète que j’ai passée dans son atelier colmarien, Michel Cornu m’a fait découvrir son univers sur fond de musique classique. J’ai compris que le doute lui est nécessaire pour son évolution artistique et émotionnelle. Il est un artiste sans concession, exigeant avec lui-même, obsessionnel. Il se laisse guider et inspirer par ses remous internes. Son œuvre est marquée par la volonté permanente de revenir à l’origine des choses.
« Au départ du rien, du mystérieux, de l’indicible pour atteindre des zones de turbulences qui vont au-delà̀ des apparences. »
Une renaissance même en laissant parfois une part de soi. Le dessin peut être repris six à sept fois jusqu’à la construction d’un sens, d’une suite. Un sens émotionnel perceptible qui met la force de la lumière dans la pénombre. L’étincelant brille dans les failles de la gravure, les espaces sont grattés, frottés, récurés, les écorchures entaillées dans l’acier sont perçues comme des surfaces malléables. Des feuilles et des branches cueillies aux arbres, trempées dans l’encre noire, sont projetées sur la surface vierge. Elles imposent le geste. L’espace rempli évolue vers des trajectoires aléatoires, toujours fascinantes. La révélation se produit dans un vertige diffus des traces avec une empreinte personnelle telle une graphologie incomparable et unique. C’est une reconnaissance dans cette transparence et cette réminiscence. Les noirs s’affirment comme une couleur à part entière apportant des nuances aux ombres rehaussées par des dégradés colorés. Ainsi s’affirme l’évidence d’une interprétation humaine et instinctive.
Aux sources de l’inspiration
L’inconnu inexploré lui permet de créer. L’urgence d’être dans cette présence artistique va au-delà̀ de toutes explications. Dans la force des gestes et l’expression de ses douleurs internes, Michel Cornu dévoile une tension venue de ses aspirations profondes. C’est une quête existentielle qui pousse au renouveau. Une satisfaction qui tient à l’instant. Sa recherche du beau est sans limite. L’émerveillement conduit Michel Cornu à se révéler et se dévoiler. Ses projections sont une délivrance de sa sensibilité et une anticipation du non visible immédiat. C’est un graveur qui accomplit avec son corps et son âme des gestes expressifs laissant une empreinte singulière et personnelle. La puissance créative de Michel Cornu est présente par son regard sur l’humain qui est nourri de défaillances et de désirs non accomplis. Dans son travail, il rejette l’approximation. Le dépassement de soi doit être porteur et s’inscrire sur une feuille blanche comme pour les auteurs.
Créateur de son langage
Michel Cornu creuse indéfiniment la plaque de cuivre ou le bois avec une pointe sèche pour libérer ou enfermer une partie de son être intérieur. L’incertitude devient le moteur de l’acte inédit de créer, encore et encore, pour élargir les représentations et s’ouvrir au monde. Par ses gestes et sa technique, l’artiste offre un langage qui part de l’Origine pour ensuite cheminer et se transformer jusqu’à exister dans sa valeur propre. Il appelle cela sa calligraphie. Son geste parfaitement maîtrisé s’associe alors spontanément à la découverte de l’intention libre. De là naît l’étonnement, l’admiration. Par son travail, il brise la résistance de la matière, lutte contre ses zones d’ombres. Sans ménagement Michel Cornu est un artiste aux envolées graphiques uniques, aux échappées informulées. L’instant d’après, il est saisi par le besoin récurrent de recommencer, pour rechercher encore son idéal du beau.
L’info en plus
Noir miroir est une œuvre qui révèle la beauté́ du geste avec celle des mots. Michel Cornu se nourrit de précisions, de gestes répétitifs racontant l’histoire des incertitudes. Les œuvres sont accompagnées des mots de Claude Thiry, son ami philosophe. Il écrit : « C’est une rencontre entre texte et image. Le pari de laisser la plume inspirée par l’œuvre noircir le blanc du papier confine à l’espoir d’un renouveau créatif. » Transposer, soutenir la pression du geste, savoir que dans ce processus tout est déterminant. L’intention part de l’impulsion imaginée pour s’approcher d’une lisibilité́ de l’intime. Chez Michel Cornu l’inattendu dialogue avec l’exploration de la matière.
Ses mots-clés
• L’enseignante : Michel Cornu est né en 1957 à Nancy. Alors qu’il est en CE2, son enseignante, Mme Barbesant, détecte déjà ses aptitudes artistiques en dessin.
• L’amie : Il a onze ans, son amie du même âge se déplace à vélo, elle est fauchée par une voiture sous ses yeux. Il lui en reste un traumatisme intime.
• La solitude : Dès l’enfance, Michel aime partir seul à la pêche. Il est fier lorsqu’il attrape un brochet plus gros que celui de son père avec lequel il est parfois complice, parfois en confrontation.
• La boxe : Ce sport a marqué ses jeunes années. Une manière de se surpasser, une mise en danger lors de la montée sur les rings. Son premier combat a eu lieu à Commercy à l’âge de 16 ans.
• Osamu Yamazaki : L’artiste japonais a « fait sauter les verrous », dit Michel Cornu. Première exposition, première toile. Une mutation artistique, une fascination, une richesse humaine. Une exposition à Tokyo.
• Dessin : En 1984 il se forme dans l’atelier de Robert George, professeur d’arts plastiques qui l’initie au dessin.
• Ses enfants : La naissance de sa fille Fanny a été « un éclair », dit-il. Puis ce fut la naissance de son fils Thomas. Sa venue au monde « compliquée » a provoqué son inquiétude.
• Route : Son premier métier était de construire des routes. Il y trouvait selon ses termes un « sens conducteur ».
• Remy Bucciali : Célèbre taille-doucier colmarien lui a ouvert la voie vers la gravure. Ce fut une rencontre incontournable et un moment fort avec la création de sa première gravure personnelle.
• Claude Thiry : Michel Cornu dit de lui : « C’est un penseur qui porte un regard de philosophe, et un regard sociologique sur mes œuvres et non un regard de critique. » Ensemble ils ont créé le livre Noir miroir, une association entre le texte et l’image, pour poser la liberté de l’écriture face aux horizons créatifs.
• Expos : En 2004 une exposition personnelle à espace d’art contemporain André Malraux à Colmar est particulièrement importante pour lui. Elle est suivie en 2007 d’une exposition collective à l’occasion des dix ans de l’espace Malraux avec l’édition d’un catalogue intitulée Lumières noires.
Elisabeth Spitz