Vous êtes l’une des personnalités alsaciennes du moment. Quel effet ça fait ?
Éric Zipper : Je suis très honoré et très fier de pouvoir arborer ce Bretzel d’Or. J’ai quand même la moitié de ma famille qui est purement alsacienne, avec une histoire tourmentée comme toutes les familles alsaciennes, c’est un peu ma décoration de cœur.
Vous êtes secouriste volontaire, vous œuvrez dans les milieux difficiles. Qu’est-ce qui vous passionne ?
Éric Zipper : Ce qui m’a toujours intéressé c’est le secours, avec beaucoup d’incertitudes dès le début des interventions. J’ai fait du secours en montagne, du secours spéléologue et maintenant du secours lors de catastrophes naturelles. Vous êtes seuls avec votre équipe, il y a des victimes face à vous, il va falloir sortir de ce mauvais pas. Ce n’est jamais deux fois la même chose. Après un séisme, on n’a pas deux victimes qui se présentent de la même façon. En spéléologie c’est pareil, on a rejoint la victime, mais il faut attendre deux jours, trois jours parfois avant de pouvoir la sortir, parce qu’il faut équiper des puits, pomper des siphons, élargir des galeries… Plein de questions se posent : comment on établit une communication ? Comment on obtient un bilan médical ? Comment on fait descendre un médecin ? Quel matériel emmène-t-il ? Ce qui m’a toujours passionné dans le secours, c’est ce défi constant, et l’aventure humaine que ça représente. On part dix jours ou plus avec une équipe, on est coupé du monde. Il faut que ce soient des gens en qui vous avez confiance, et qui ont confiance en vous.
D’où vous vient cette appétence pour le secours ?
Éric Zipper : Ça a commencé avec la spéléologie. Quand j’étais petit, mon grand-père m’emmenait à l’Aven d’Orgnac, on s’arrêtait devant une cavité qui n’était pas encore complètement explorée et le guide nous obligeait à nous arrêter. Moi, ça me fascinait cette espèce de trou noir où il n’y avait plus de lumière. On savait qu’il y avait quelque chose, mais on ne pouvait pas aller voir. Pour la suite, ça s’est associé au secours. En effet, à cette époque je travaillais sur l’autoroute et je me suis loupé sur deux alertes que j’ai transmises au Samu : je n’avais pas envoyé les secours nécessaires. J’ai voulu me former, j’ai rencontré un gars dingue de secours en montagne qui m’a poussé à aller plus loin.
Pour les secouristes, le danger est toujours présent ?
Éric Zipper : C’est aussi l’un des points communs entre toutes ces formes de secours. La spéléologie en elle-même n’est pas dangereuse. Il n’y a qu’un risque modéré d’accident, comme en montagne, mais lorsqu’on intervient c’est qu’il s’est passé quelque chose d’anormal. Ça va rendre un milieu qui était habituel en un milieu totalement inhabituel. C’est un peu pareil pour les catastrophes naturelles, vous rentrez dans des villes qui, parfois, ressemblent encore un peu à des villes, mais il n’y a plus rien qui fonctionne, les maisons ne tiennent plus, celles qui sont encore debout représentent souvent une menace. Au milieu de tout ça, il faut garder ses sens en éveil, décider très vite, être efficace.
Un mot sur votre présidence de l’ONG Corps Mondial de Secours ! Elle a été créée en 1972 par l’Abbé Pierre et Théodore Monod pour être un corps permanent de sauveteurs bénévoles spécialisés dans les secours de catastrophes naturelles à l’étranger. J’y suis entré en 2003 et j’en ai pris la présidence en 2013. Nous avons des particularités. Par exemple : nous ne partons que dans les pays qui demandent de l’aide, nous sommes très réactifs puisque nous n’avons en général que trois semaines pour avoir la chance de retrouver des survivants. Nous partons en autonomie totale, sans peser sur le pays en hébergement, avec nourriture et matériel. Et nous ne partons que dans le cas où nous sommes sûrs de pouvoir commencer à travailler dès notre arrivée. Je refuse de faire du tourisme humanitaire.
Vous êtes intervenus en France ?
Éric Zipper : Oui, dans certains cas on nous demande de venir. En 2020, nous sommes allés dans la Vallée de la Roya après les inondations. En France, tout le matériel destiné aux dégagements se trouve dans des camions, mais dans ce cas précis il n’y avait plus d’accès terrestre. Nous, nous possédons du matériel transportable par hélicoptère, ce qui nous a permis de travailler sur place.
Et en Ukraine ?
Éric Zipper : Oui, habituellement nous n’intervenons jamais en zone de conflit, mais en mars 2022 nous avons été sollicités par le Groupement de Secouristes en Montagne Polonais qui nous a demandé d’apporter du matériel médical, des vêtements pour les forces ukrainiennes, de la nourriture pour les bébés et pour les combattants.
Ce que vous faites est une façon d’aider votre prochain ?
Éric Zipper : Oui, si je peux aider j’y vais, je fais quelque chose, je fais ce que je peux. Même si nos moyens semblent dérisoires. Quand nous arrivons, c’est un champ de bataille avec parfois plusieurs milliers de morts, et quand nous repartons le champ de bataille n’a pas changé. Nous ressentons un sentiment d’abandon par rapport à une population qui est tout aussi meurtrie qu’au moment de notre arrivée. La seule satisfaction c’est de se dire que nous l’avons aidée, à notre échelle, que nous avons donné tout ce que nous pouvions, que nous n’avons jamais failli.