vendredi 6 décembre 2024
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Daniel Schlosser – Filmer le réel

Le réalisateur originaire de Kembs a bourlingué entre Paris, l’Allemagne, la Suisse, les Hauts-de-France, avant de revenir en Alsace. Depuis 2005, il choisit des sujets qui lui tiennent à cœur, notamment sur l’environnement et l’éducation. Un bon documentaire selon lui, doit être « utile » et « engagé ». Son dernier film intitulé La forêt c’est la classe évoque les bienfaits de l’école dehors.

Comment devient - on réalisateur ?

J’ai fait mes études à Paris pour devenir monteur pour le cinéma, puis j’ai travaillé à la Télévision Suisse Romande à Genève. Mais étant originaire d’Alsace, j’ai toujours voulu revenir dans la région. Je suis devenu réalisateur avec le film D’Goda, co-réalisé en 1973 avec Louis Schittly médecin originaire du Sundgau qui a obtenu le prix Nobel de la Paix. Ce film en dialecte parlait de la vie paysanne du Sundgau et des jeunes qui retournaient vivre à la campagne. Pour réellement gagner ma vie, j’ai surtout travaillé pour la télé : j’ai été assistant-réalisateur pour des téléfilms allemands, j’ai été responsable du département audiovisuel de l’Agence Culturelle d’Alsace, puis j’ai travaillé pour des télés locales dans le Nord.

En parallèle de cette carrière, depuis 1994, vous avez réalisé de nombreux documentaires…

Oui, j’ai travaillé pour France Télévisions sur des sujets variés comme la dentelle, les religions… Puis en 2005-2006 j’ai eu envie de faire des choses plus personnelles, en lien avec l’environnement. J’ai réalisé une trilogie de documentaires autour de l’herboristerie. Le premier film est sorti en 2015, intitulé Un héritage en herbes, il dresse le portrait d’un pharmacien chercheur, le professeur André Caudron. Puis j’ai réalisé En quête des nouveaux herboristes en 2017, et le troisième Germaine la fée de l’or vert sortira en 2025.

L’affiche de La forêt c’est la classe, le dernier film de Daniel Schlosser. / ©Documents remis
Pourquoi avez-vous choisi le documentaire ?

Les films de fiction impliquent de tourner avec des acteurs donc c’est plus compliqué à gérer et plus cher. Le documentaire permet d’aborder différents sujets et c’est moins risqué financièrement. Le budget d’un documentaire c’est 150 000 euros en moyenne et il y a la possibilité d’une diffusion télé puis d’une exploitation en salle. Pour un long métrage de cinéma, il faut attendre quatre ou cinq ans pour réunir le budget. C’est très long, et ensuite il y a un risque de se planter si on a des mauvaises critiques et qu’on ne fait pas assez d’entrées.

C’est quoi pour vous un bon documentaire ?

C’est un film engagé qui a quelque chose à dire, qui défend une cause. Le public confond souvent reportage qui est un travail de journaliste et documentaire qui est une œuvre cinématographique, avec un point de vue d’auteur. Pour un documentaire, il y a d’abord l’écriture du scénario qui dure plusieurs mois. Un bon documentaire c’est une histoire avec une bonne dramaturgie qui suscite de l’intérêt chez le spectateur. À l’instar des films de fiction, le casting est important, car il faut des personnages auxquels le spectateur peut s’identifier. Mes derniers films sur les herboristes et l’école dehors évoquent des sujets qui me tiennent à cœur. Mon film En quête des nouveaux herboristes a été diffusé à la télévision puis au cinéma avec des débats dans toute la France. Joël Labbé sénateur écologiste du Morbihan, qui a interdit l’usage des pesticides dans les jardins et les espaces verts en France, s’est aussi engagé pour la reconnaissance du métier d’herboriste. Le projet de loi est passé au Sénat et à l’Assemblée nationale. Et depuis septembre 2023, il y a une certification professionnelle de paysan-herboriste. Le film a contribué à la reconnaissance de ce métier. Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est ça : être utile et engagé par rapport à la nature et à l’environnement.

Votre dernier film La forêt c’est la classe parle de l’école dehors. Pourquoi ce sujet ?

Enfermer les enfants pendant six heures entre quatre murs, je trouve que ce n’est plus possible. Aujourd’hui, les jeunes sont plus sur leurs écrans que dehors, ils sont déconnectés de la nature. Cela a des conséquences fâcheuses sur leur attention et leur curiosité. Quand on passe des heures devant un écran, cela ne stimule qu’une seule partie du cerveau, alors que lorsqu’on est dehors, cela permet d’apprendre par différents canaux sensoriels et on mémorise mieux. Les pays nordiques qui pratiquent depuis longtemps l’enseignement à l’extérieur ont de meilleurs résultats que la France, qui se classe régulièrement en bas du classement Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). Comme j’étais intéressé par ce sujet, j’ai assisté à un colloque qui a eu lieu à Strasbourg en 2019 avec des chercheurs venus de toute l’Europe. Dans la salle, une enseignante, Elise Sergent a témoigné en disant qu’elle avait commencé toute seule à faire classe dehors en Franche-Comté. À la fin du colloque je suis allé lui demander si je pouvais filmer son travail. Elle a accepté et j’ai commencé à tourner. Elle sortait sa classe dans la forêt une fois par semaine, quelle que soit la météo. Moi je l’ai suivie tous les 15 jours pendant un an en 2021.

Le coin nature de Jules. / ©Documents remis
Qu’avez-vous observé pendant ce tournage ?

J’ai vu très clairement l’évolution des élèves. Il y avait un enfant très turbulent qui s’est calmé au bout de quelque temps. Et tous aimaient aller à l’école, car il y avait une autre façon d’apprendre. Le film questionne la manière d’enseigner. Dans la forêt les élèves comptaient avec des feuilles, ils étaient stimulés et très motivés. J’ai observé aussi l’aspect comportemental de ces enfants : ils ont développé une empathie avec la nature. Le développement durable quand on l’apprend en cours c’est abstrait, là étant en contact immédiat avec la forêt, quand ils voyaient un déchet, ils le ramassaient sans hésiter. Quand on a commencé à tourner, il y avait seulement trois classes qui faisaient cours dehors en Franche-Comté. Aujourd’hui, il y en a 200. À la première diffusion du film à Besançon, le rectorat a demandé à Elise Sergent de former les enseignants. Le fait de provoquer le débat c’est ce qui m’intéresse le plus. J’aime les projections avec des temps de discussion derrière.

Quand vous comparez votre jeunesse avec celle d’aujourd’hui, vous estimez qu’il existe un très large fossé ?

Je ne suis pas allé à l’école maternelle et quand j’étais petit j’étais souvent dehors. Après j’ai été plus enfermé en travaillant à la télé. J’utilise comme tout le monde les outils numériques, ils ont bien sûr des côtés positifs, mais ils ne doivent pas occuper tout notre espace-temps. Le développement du numérique a amené une autre façon de voir le monde. J’ai rencontré des gens qui prônaient l’arrêt de cette fuite en avant et je me suis retrouvé dans ce mouvement qui me ramenait à ma propre enfance. Je me souviens qu’en primaire et en secondaire, des enseignants nous emmenaient dehors. Aujourd’hui, il faut tellement de tampons que les enseignants ont peur de sortir.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

Oui, je vois qu’il y a une résonance sur ce sujet. Il y a un mouvement qui se développe sur le fait de revenir à des choses essentielles. Et le fait d’intégrer la nature dans l’enseignement, c’est une manière d’améliorer les compétences. On apprend aux enfants à lire et à compter, mais on ne leur apprend pas à se défendre dans un monde d’adulte. Dans la nature, on développe d’autres compétences comme l’esprit d’initiative, la capacité à gérer les conflits… Ces aptitudes ne sont pas prises en compte par le système éducatif aujourd’hui. Or, il y a un enjeu sociétal à les intégrer.

 

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