En 2025, comment définir la cuisine made in Julien Binz ?
C’est de la tradition évolutive. Ça veut dire que mes assiettes sont généralement décomposées en deux préparations, autour du même produit. Une traditionnelle et une moderne. On essaie de travailler une partie noble, et une partie simple sur l’idée de la vieille cuisine. Par exemple, pour de l’agneau, on travaillerait un carré d’agneau, et parallèlement, on ferait un effiloché à l’ancienne, longuement confit et en sauce. Je veux allier les deux idées de la cuisine. Je suis issu d’un parcours de maisons étoilées très classique, une cuisine qui a énormément évolué, plus allégée et simplifiée. Donc j’ai évolué aussi. Mais malgré cette modernité, j’ai toujours voulu garder les racines de la cuisine classique. Ensuite, ma cuisine doit aussi être lisible. C’est important. J’aime bien que les choses aient le goût de ce qu’elles sont. Une carotte doit sentir la carotte, il ne faut pas dénaturer le produit.
Quand est apparu cet amour pour la cuisine ?
J’avais un ami qui était issu d’une famille de restaurateurs. Quand la question de l’orientation s’est posée, il a naturellement été vers l’école hôtelière. Il m’a demandé : « Et toi, tu vas faire quoi ? ». Je lui ai répondu : « Moi ? Je vais venir avec toi ». C’était mon projet de vie (rires). La cuisine, le service, j’ai découvert tout ça en intégrant l’école. Mon papa, à l’époque, était assez déçu. Il avait une société de décoration, il aurait bien aimé que je vienne travailler avec lui. Donc il a échafaudé un plan : me faire travailler dans des maisons difficiles, dans l’espoir de me dissuader. Il m’a trouvé une place dans un restaurant deux étoiles dans le sud-ouest : Pain Adour et Fantaisie, à Grenade-sur-l’Adour. Un restaurant et un chef réputés durs. C’était effectivement le cas, j’ai passé quelques mois là-bas et j’en ai bavé. Mais quand j’en suis ressorti, j’ai dit : c’est ça que je veux faire. C’est à ce moment-là que tout s’est déclenché. C’était passionnant.

Vous avez fréquenté d’autres maisons étoilées par la suite !
En effet. De retour à l’école hôtelière, j’ai obtenu un entretien avec Philippe Gaertner, des Armes de France, une étoile Michelin. Sur mon CV, je n’avais qu’une ligne, le restaurant dans le sud-ouest. Il l’a vu et m’a demandé : « Vous êtes resté combien de temps là-bas ? ». J’ai répondu 6 mois. Ce à quoi il a rétorqué : « Vous commencez quand ? » (rires). Je suis donc entré aux Armes de France pour une année, puis j’ai rejoint Antoine Westermann, deux étoiles à l’époque. Je suis resté 5 ans avec lui, et j’étais là pour la troisième.
Ensuite je suis parti faire mon service militaire. Pendant cette période, j’ai envoyé un seul CV, à l’Auberge de l’Ill, chez la famille Haeberlin. Au 8e mois, ils m’ont rappelé, en me disant qu’ils avaient besoin de quelqu’un tout de suite. Je leur ai dit qu’il me restait encore 4 mois, et ils m’ont raccroché au nez ! Un quart d’heure après, ils m’ont rappelé en me disant : « Tout est arrangé, vous commencez la semaine prochaine en tant que commis ». Ils avaient téléphoné au ministère de la Défense et 24 heures après, je quittais l’armée (rires). J’y suis monté jusqu’au poste de second, puis j’ai voulu devenir chef. Quelque temps après, j’ai intégré l’Auberge d’Artzenheim pour 5 années, durant lesquelles j’ai eu le titre de Jeune Talent de Gault et Millau. C’est là que je me suis dit que je pouvais, peut-être, aller décrocher une étoile Michelin. J’ai donc cherché une place pour atteindre ce but. D’abord au Château d’Isenbourg à Rouffach, puis au Crocodile à Strasbourg. Et un jour, j’ai accepté un poste au Rendez-vous de Chasse à Colmar, pour maintenir l’étoile. On l’a perdu, avant de la récupérer en un an, en 2012. C’était ma première, une immense joie. Une étoile, ça donne une légitimité, et ça libère. On se dit qu’on va dans la bonne direction.
Puis vous avez eu envie de créer votre propre restaurant ?
Avec mon épouse, on s’est demandé si ce n’était pas le moment, oui. Après un coup de main au Relais de La Poste pour maintenir l’étoile, on a ouvert notre restaurant ici, à Ammerschwihr. On est co-gérants, elle m’épaule énormément. Elle s’occupe du recrutement pour la salle, de la paperasse, de la déco. C’était un établissement fermé depuis plus de deux ans, en liquidation, alors ça n’a pas été simple. On a acheté en avril 2015 et on a ouvert en décembre. Puis, en 2017, on a eu une étoile. Celle-là, elle avait un autre goût, une autre saveur. C’est notre restaurant, notre maison, à laquelle on a donné une âme. Bref, c’est chez nous.

Et aujourd’hui vous fêtez les 10 ans.
Oui, et avec une nouvelle cuisine. On a tout refait, du sol au plafond : fenêtres, portes, carrelage, même l’ergonomie, l’implantation des meubles. C’est un changement radical, avec du sur-mesure.
On a aussi gagné 10 degrés, avant on montait quand même jusqu’à 48 en été, c’était éprouvant. On est aussi passés du gaz à l’induction. Tout ça nous permet d’être beaucoup plus efficaces et de gagner en sérénité de travail. On est moins fatigués, moins irrités. Autrement, nous avons aussi un projet de livre dans les tuyaux, on est en train de sélectionner les recettes.
Alors maintenant que ce cap est passé, en route vers une deuxième étoile ?
C’est quelque chose auquel on pense tout le temps. Ça flatte l’ego du chef bien entendu (rires). Mais aussi parce que, pour maintenir une étoile, il faut toujours aller de l’avant. Il ne faut pas considérer ça comme acquis. Ma devise c’est : qui n’avance pas recule. Donc perpétuellement, on se renouvelle, on investit. Et si ça nous amène à une deuxième, tant mieux. Forcément, c’est dans un coin de la tête.
Le chiffre
500 000 : En euros, c’est le montant investi par le restaurant Julien Binz pour refaire entièrement la cuisine, à l’occasion de ses 10 ans.