Les mots ne sont pas son affaire. Détectée dyslexique dans son enfance, elle a fait de son déséquilibre sa force et parle de son métier avec enthousiasme. Mettre des mots sur ce qu’elle fait, c’est cela. Décrire une émotion, une intention, une conviction, c’est cela. Céline parle du cœur de son projet, de ses pas de côté, de son chemin différent. Pourtant, fille de vignerons à Andlau, née dans une famille qui produit sept cépages alsaciens et du crémant depuis trois générations, la voie est tracée, la route balisée. La terre, les valeurs de la terre, les racines, le patrimoine alsacien, des valeurs profondément ancrées : les matières premières de sa vie. Mais, à côté du domaine viticole Wach, se trouve à Eichhoffen la tannerie Hass qui fournit les plus prestigieuses maisons de mode. Fillette, elle passe devant quotidiennement, et les jours de portes ouvertes, elle entre. Elle touche le cuir, concrètement, et elle ressent quelque chose d’intense. Dans la vie, lorsqu’elle tombe amoureuse, elle reste fidèle, elle va loin. Elle ira loin.
Les premiers pas
Petite, ses maîtresses sont impressionnées par les détails de ses dessins : « Ensuite au lycée, à Barr ou à Sélestat, quand on dit que l’on veut faire de la mode, les gens ne nous prennent pas vraiment au sérieux », mais sa sensibilité, nourrie par la pratique artistique de son père (qui a fait les Beaux-Arts), la poussera à s’orienter vers le métier de designer. Elle fait d’abord un BTS de commerce, puis une prépa en arts appliqués, ce qui l’amène dans le monde de la mode. Elle passe deux ans à Paris et un an à New York pour perfectionner son anglais. C’est là que se concrétise son attirance pour les accessoires. Plus tard, elle rencontre un livre, Le sac de Jean-Claude Kaufmann : « Beau ou pratique, rassurant ou encombrant, le sac à main est le plus fidèle partenaire des femmes! Il leur permet de projeter une certaine image aux yeux des autres ». C’est le déclic. Elle rentre de New York, passe son master marketing du luxe, elle a 25 ans. Pour apprendre à vendre, elle travaille dans des boutiques de luxe. « C’est subtil, il faut trouver le bon langage », commente Céline. Après cette expérience, comme une évidence, elle créera sa marque de maroquinerie.
La création de sa marque
Les tanneries Hass sont toujours à deux pas. Retour aux sensations de l’enfance, mais elle a grandi, la jeune femme sait ce qu’elle veut : sélectionner directement les bandes de cuir noble, et profiter des meilleures pour fabriquer des sacs à main. Elle discute les prix, trouve un accord, elle pourra passer sa commande dès qu’elle sera prête. Une petite quantité, inhabituelle pour la tannerie, mais pour l’enfant du pays, ça passe. Les années défilent, elle fabrique des prototypes en carton, elle invente ses modèles. Dans un salon pro à Milan, elle trouve une entreprise de fabrication de pièces métalliques, des chaînes, des fermoirs, des cadenas, des accessoires qu’elle dessine aussi, pas question de faire venir du marché chinois des pièces standards.
Le professionnel italien accepte de collaborer avec elle, mais lui demande si elle a trouvé un bon fabricant de sacs à main. La question est essentielle, car Céline ne s’est pas rendu compte de la nature du monde dans lequel elle essaye d’entrer ; les entrepreneurs du secteur travaillent avec Chanel, avec Louis Vuitton, c’est une société très secrète, l’endroit où sont fabriqués les sacs est confidentiel. Elle a trouvé la matière première, le cuir, elle a trouvé un fournisseur pour les accessoires, il lui manque l’entreprise qui réalisera l’objet.
En 2019, elle finit par la dénicher dans le nord de l’Italie ; c’est une manufacture à l’œuvre depuis des décennies pour les plus grands noms de la maroquinerie. Sa raison sociale restera secrète pour nous, Céline Wach respecte les règles de son milieu naturel. L’aventure peut commencer : « En général, avec les Italiens, tout est possible, ils prennent le temps, les rendez-vous durent quatre heures, toutes les coutures sont examinées ». Évidemment, il faut payer d’avance, avoir les épaules, la peau dure. Ses économies y passent, elle obtient un crédit : « J’avais 31 ans, ça fait peur de faire des virements comme ça, mais j’ai gardé confiance, je me disais que je trouverais forcément une clientèle en Alsace. Je crois en l’univers, peu importe le temps que ça prend, les moments de doute me font aller à l’essentiel ».
Les premières collections
En 2020, elle touche au but. Un samedi, elle va chercher en Italie sa première commande de 200 sacs. Deux jours plus tard, le pays ferme pour cause de covid : « J’avais prévu un lancement, c’était horrible », mais heureusement, sa première collection s’écoule, en un an et demi, grâce à sa famille. Au domaine viticole, on organise des réunions pendant lesquelles elle vend ses sacs. L’horloge tourne, c’est l’heure de la deuxième collection, elle améliore la première. Pour la troisième collection, sortie en cette année 2024, elle change tout. Cinq modèles différents déclinés en trois couleurs, c’est plus contemporain. Elle enlève le logo métallique CW dessiné à quatre mains avec son père, elle ajoute un cadenas au fermoir, c’est plus rassurant pour sa clientèle de notaires, d’avocats, de parlementaires, ceux qui peuvent s’offrir un sac de luxe à des prix allant de 500 à 1800 €, ceux qui ne veulent pas posséder la même chose que les autres, une clientèle qui aime qu’on lui raconte une histoire : « Ils étaient exposés dans plusieurs vitrines d’hôtel, mais ça ne marchait pas trop, parce que je n’étais pas là. Les femmes ont besoin que je leur parle de ce travail exquis. Certaines restent deux heures. Porter un sac, ce n’est pas anodin. Le sac à main, c’est très audacieux ».
L’image
Un design épuré laissant place à la pureté du cuir, les sacs de Céline Wach sont des objets que l’on emporte partout. Pour l’Alsacienne, c’est le plus beau cadeau à faire et à se faire.
« Ma plus grande fierté, c’est qu’on peut les porter dans toutes les circonstances », dit celle qui poste ses images en noir et blanc, des mises en scène hyper classes de son travail, des photos hyper sexy. Elle ose s’exposer, « ça me plaît, je fais ce que j’ai envie de faire, c’est mon image, c’est mon corps », et comme depuis le début de cette aventure, elle fait tout toute seule. Cela ne durera pas, elle s’entourera, comme elle l’a fait lors d’un récent défilé, pour aller loin, plus loin. Son rêve : ouvrir une boutique à Paris, à Londres, à New York, avec l’inscription Atelier Céline Wach sur les devantures. C’est ce qu’elle veut, mais ça viendra quand ça viendra, pas question d’y laisser sa peau. Finalement, elle a donné vie à un produit noble dont elle connaît la matière première, dont elle maîtrise le process de bout en bout, de ce point de vue, elle n’est pas très loin de l’héritage familial et comme elle a appris les mots pour le dire, elle peut croire en l’avenir.
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