mercredi 4 décembre 2024
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Albert Seltz – Le prophète alsacien d’une vigne insoumise

Des vignerons, ce n’est pas ce qui manque en Alsace. Parmi eux, les Seltz ne sont pas denrée rare non plus. Mais des spécimens comme Albert Seltz, c’est certain, il n’y en a pas plus d’un. Ce gardien du Sylvaner cultive une approche viticole singulière et authentique, loin des effets de mode et des voies de Panurge.

Quand Albert Seltz reprend les rênes du domaine familial de Mittelbergheim, à 19 ans à peine, il porte déjà en lui les ferments d’un cru unique en devenir. « Dans la vie, fais ce que tu veux, mais sois le seul à le faire ». Sans doute l’ignore-t-il au moment où son maître de stage, le viticulteur Léonard Umbrecht prononce cette phrase trois ans plus tôt, mais elle deviendra son intime conviction, son adage, le fil conducteur de toute une vie.

« Je ne suis pas consensuel », ce sont les premiers mots recueillis auprès d’Albert et ils illustrent parfaitement le personnage. Le vigneron s’est en effet forgé en dehors des conventions sans jamais céder à l’appel des sirènes, sans se plier aux diktats du dieu commerce. Dans les années 80, les vignerons de Mittelbergheim, sous la pression du marché, se mettent à arracher les pieds de Sylvaner pour les remplacer par des cépages plus prestigieux et mieux valorisés comme le Riesling et le Gewurtztraminer. Albert s’insurge alors contre cette mouvance et fait de la réhabilitation du Sylvaner son sacerdoce, le combat de toute une vie : « Quelque chose de l’âme de Mittelbergheim était en train de partir », déplore-t-il.

Domaine Albert Seltz, 21 rue Principale à Mittelbergheim.
Visite de la cave et dégustation sur rendez-vous. / ©Dr

Convaincu que cultivé dans les conditions idéales, le Sylvaner peut rivaliser avec les meilleurs cépages du monde, il consacre sa carrière à le prouver. En 2005, la reconnaissance du Grand Cru Zotzenberg pour le Sylvaner, première historique pour ce cépage en Alsace, récompense enfin son engagement et sa ténacité.

Évidemment, un tel succès ne s’obtient pas sans consentir certains sacrifices. Pour produire des Sylvaner d’exception, Albert Seltz choisit de rester intègre et fidèle à ses principes, même si cela implique de nager à contre-courant. C’est plus laborieux, plus exigeant et moins rentable. Mais l’excellence a un prix. Là où la majorité de ses confrères multiplient les hectares pour augmenter les volumes, Albert produit moins, mais mieux. Façonnant avec patience et minutie des vins à l’image de leur terroir, il refuse de contrarier leur vraie nature. Hors de question pour lui de renier sa foi, ses fondamentaux !

« L’Alsace était en bonne voie il y a trente ans », commente-t-il, « on avait réduit la production, on commençait à devenir réguliers et bons. Cependant, on a non seulement cédé à la mouvance de produire plus, mais on s’est aussi engouffré dans la tendance des vins nature. Et en le faisant très mal, avec pour résultat des vins volatiles et mauvais en goût presque impropres à la consommation.» Albert décrie avec virulence cette mode du bio, du vegan, du nature, de la biodynamie qu’il appelle la mouvance du « Aoum»… « Tous ces diktats d’illuminés, ces prises de position sectaires, ça me gonfle profondément », avoue le propriétaire d’un domaine viticole dont la production est pourtant certifiée bio depuis plus de dix ans. Le paradoxe, c’est qu’Albert Seltz est très certainement plus « bio » et plus « nature » que la plupart des vignerons qui le revendiquent haut et fort. Mais, dans son cas, il ne s’agit pas d’une posture ou d’un argument commercial. Il a d’ailleurs pris le parti de ne pas faire mention du label bio sur ses bouteilles. « Je veux que les gens viennent pour notre vin et découvrent que nous sommes respectueux de l’environnement. Et pas l’inverse ».

« Convaincu que cultivé dans les conditions idéales, le Sylvaner peut rivaliser avec les meilleurs cépages du monde, il consacre sa carrière à le prouver »

Pour Albert, la vraie personnalité du vin réside dans l’alchimie invisible entre la terre et la vigne. Un bon vin doit refléter son sous-sol, et c’est par la salinité qu’il exprime toute la complexité du terroir. « Un vin sans sel, c’est un vin sans structure, un mollusque », explique-t-il. Contrairement à l’acidité qui ne fait pas saliver, c’est la salinité qui confère la longueur et la persistance en bouche, tandis que les amers, lorsqu’ils sont bien maîtrisés, apportent de la complexité. Sa méthode pour élever des vins de gastronomie, expressifs et captivants à la dégustation ? Garder le sol vivant, préserver sa richesse en bactéries, champignons, vers de terre et oxygène pour qu’il les transmette au raisin. Le passage sur lie permet ensuite de construire l’amertume du vin. Albert compare son travail à la grossesse. « Je suis « enceint » de mon vin. Ce n’est pas à moi, mais au vin de décider du bon moment pour venir au monde. Le vigneron doit se contenter d’être à l’écoute, en symbiose avec son vin pour l’accompagner dans son évolution naturelle. » Ainsi soit-il !

Derrière ses prises de positions tranchées se cache un hypersensible guidé par la passion et le goût de l’excellence. À l’image de son animal fétiche, le pélican autrefois en voie de disparition puis réintroduit avec succès, Albert Seltz a su redonner vie au Sylvaner grâce à sa force de conviction et à son obstination. Aujourd’hui prêt à transmettre à son fils Jérémie ses trente années d’observation, il lègue au monde viticole bien plus qu’un cépage sauvegardé et anobli : la vision prophétique d’une viticulture d’excellence où l’intégrité comme le respect authentique de la vigne et du vin sont sacrés.

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