Ici, les forêts semblent infinies, elles sont peuplées d’ours, d’élans, de caribous, et du plus gros oiseau de la planète, le pygargue à tête blanche, l’emblème des États-Unis. Ici, les montagnes tutoient le ciel, et les rivières glaciales, limpides, bruissent de vie. C’est l où les puissants saumons du Pacifique, les Silvers, serpentent les torrents agiles pour gagner les zones de frayères. Cette rivière d’Afognak a une grande sagesse, elle murmure ses secrets au cœur d’un homme, l’éminent, le Maestro, l’Indiana Jones de la pêche à la mouche Maaarrrcel Roncari ! Je vous présente son histoire « aventureuse », en CinémaScope dans un pays qui ne laisse personne indifférent. C’est bien l’Alaska.
L’élégance au bout de la ligne
Il y a des pêcheurs à la mouche, et puis il y a Marcel Roncari. Chez lui, la pêche à la mouche n’est pas un loisir, c’est un art de vivre, une méditation, une philosophie. D’un geste précis, presque chorégraphié, il fait danser sa ligne sur les eaux limpides, tumultueuses, comme le pinceau d’un calligraphe sur une large feuille de papier blanc. Dans les rivières glacées du bout du monde, toujours tiré à quatre épingles, même avec ses grandes bottes de sept lieux, son gilet très british où pendouillent toutes ses mouches et ses gris-gris, notre Zorro des rivières allie patience, finesse et passion. L’homme avec sa canne à mouche en bambou refendu, fait papillonner son bas de ligne dans les airs, avec la grâce d’un maestro du fouet, ou d’un Zorro en waders. À chaque lancer, il dessine des arabesques dans le ciel d’une grâce qu’on jurerait qu’il signe des « M » pour Marcel à la surface de l’eau. Au bout de sa canne, ce n’est pas seulement une mouche, une nymphe, mais toute l’élégance d’un homme en harmonie avec la nature. Voilà les présentations sont faites, on saute au paragraphe suivant !
Le seigneur des rivières
Marcel a bourlingué sur toutes les rivières de la planète bleue. Du vieux Rhin à Kembs, en passant par les torrents du Montana, les rivières cachées de Norvège, la Suède Mörrumsàn, la Patagonie Rio Grande, au Kamtchatka en Russie, l’Écosse, l’Irlande, la rivière Salza chez son ami Rudi Heger en Bavière et bien d’autres endroits encore. Il lance sa mouche comme d’autres signent des poèmes. Mais avant de devenir ce seigneur des eaux vives, notre ami Marcel avait une autre vie. Petit flash-back dans le scénario : il travaillait en Suisse, à Bâle, dans un service informatique I.B.M. Programmateur-analyste, mais pour les initiés, c’était surtout le MacGyver des bécanes, des tabulatrices, un dompteur de cartes perforées, un artisan du Moyen Âge des ordinateurs. Malgré ce travail intéressant payé à prix d’or en francs suisses, plus rien ni personne ne pouvait retenir Marcel à Bâle. Il n’avait qu’une envie : retrouver les paysages, la nature, le murmure des rivières et le frisson des truites sauvages et surtout l’émerveillement des saumons d’Alaska. Alors un jour sans trompette et sans tambour, Monsieur Roncari a sauté à pieds joints dans ses waders, comme d’autres sautent dans le grand bain, il est devenu guide de pêche international, Fliegenfischer, Fly fisherman.
L’homme qui murmurait aux branchies des poissons
Marcel a emmené ses clients, ses amis sur les plus beaux spots de la planète. Avec patience et passion, il leur a transmis l’art de la pêche à la mouche comme un vieux secret. Le succès ne s’est pas fait attendre. Le guide au sourire jovial, à la petite moustache en brosse à dents, a conquis le cœur des pêcheurs novices et des vieux briscards. Sa notoriété s’est envolée, portée par une pluie d’articles élogieux dans la presse spécialisée. On le voyait concentré, presque en apnée, lisant l’eau, le courant, les frisottants, les bouillonnants rapides, comme un poète lit entre les lignes, à la recherche d’un vers caché.
La Grande Terre au parfum d’aventures
Après 15 heures de vol depuis Bâle jusqu’à Anchorage, un dernier saut, un décollage sur l’eau à bord d’un coucou rudimentaire aux deux flotteurs bringuebalants, le pilote impassible lance le moteur de l’hydravion jaune jonquille éclatant. Un vacarme assourdissant emplit l’air de la carlingue, presque inquiétant, tant le métal gronde, vibre, comme si l’oiseau de fer hésitait à quitter l’eau. Puis l’hélice rugit, arrache l’appareil de la surface dans un bond sauvage, et l’hydravion s’élève vers les nuages. Là-bas, entre ciel et terre nous attend l’île d’Afognak.
Aux pays des saumons et des ours bruns
L’île, posée au large de nulle part, est un sanctuaire de nature. Des sapins à perte de vue, alignés comme un régiment de soldats en rangs serrés forment une forêt impénétrable, silencieuse et majestueuse. Au loin, dans la brume, se dessinent des montagnes aux sommets dégarnis, comme des géants endormis. Les rivières, elles, sont mythiques, légendaires pour les pêcheurs à la mouche : la Mulchatna ou la Stuyahok, la Alexander River, serpents d’argent qui glissent entre les arbres. Leurs berges sont tapissées de Pink Plumes, ces hautes herbes roses qui ondulent dans le vent et égayent le paysage verdoyant. Ici, dans ces rivières vivantes, il faut partager, le saumon voyageur qui remonte les cascades à contre-courant pour frayer là où il est né. Le vrai seigneur des lieux, c’est l’ours brun qui harponne un saumon avec une nonchalance déconcertante. Marcel, baisse sa canne, recule à pas de loup, laissant sa place à l’ours. Ici, on ne pêche pas contre la nature, on pêche dans la nature.
Dans la dédicace de son livre d’images de ses différents voyages en Alaska, Marcel Roncari m’écrit ceci : « N’oublie jamais, André, que les Dieux ne décomptent jamais les jours que tu consacres à la pêche… Voilà, mon secret pour offrir une jeunesse éternelle à la vie d’un pêcheur à la mouche ».
À très vite, les Maxiläser’s pour d’autres aventures tumultueuses, dans notre paradis alsacien ou ailleurs.
D’ici là, soyez sages.