mardi 27 mai 2025
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Il y a 25 ans – Un été en Californie

J’ai toujours été marquée par ceux qui peuvent tout lâcher et refaire une vie ailleurs, loin de leurs racines. C’est pourquoi je suis allée à la rencontre des Alsaciens de Californie à partir de 1998. Le livre que je leur ai consacré a paru avec le nouveau millénaire, en mai 2000.

J’ai cherché cette cinquantaine de femmes et d’hommes, comme on chercherait des aiguilles dans une botte de foin, à une époque où Internet n’était pas usité. Il n’existait pas de liste d’Alsaciens dans les consulats, où ils sont répertoriés comme des Français. L’Association des Alsaciens de l’Étranger ne disposait que d’une adresse, celle du pâtissier à la retraite, le Strasbourgeois Paul Voltzenlogel. J’ai expédié des dizaines de lettres comme on lâche des ballons. Parfois elles revenaient au bout de quelques mois, car les personnes avaient changé d’adresse. Une fois que le contact était créé, j’échangeais par fax ou je téléphonais, généralement après minuit. C’était étrange de mener ces conversations à voix basse dans une maison endormie, en sachant qu’à l’autre bout du combiné le soleil brillait. Pendant six mois, j’ai tissé ma toile et je me suis envolée pour découvrir le destin de ces femmes et de ces hommes.

Ce mois d’août 1999 fut intense, à sillonner de Los Angeles à Las Vegas, de San Francisco en Napa Valley, ces paysages de lacs, d’Océan pacifique, de forêts, de montagnes et de désert. Les Alsaciens y insufflaient leur savoir-faire : à la Nasa, en Silicon Valley, comme physicien, designer, chef de cuisine, etc. J’ai aimé écouter les récits de leur parcours. Je revivais avec eux l’Histoire de l’Alsace, à 10 000 km de la terre qui nous avait vus naître. Dans cette quête, j’ai vécu avec bouleversement leur attachement à notre langue maternelle, belle, médiévale, si unique et si proche de la langue anglaise.

Avec Gérard Bechler, le chef pâtissier de l’Auberge de l’Ill devenu pâtissier des stars à Pacific Grove au sud de San Francisco. / ©S.M.

Je repense à Gérard Bechler, qui fut maître-pâtissier à l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern et devint pâtissier de stars à Pacific Grove pour Clint Eastwood, Kevin Costner ou Paul Newman. Hervé Bruckert, surfeur passionné de la baie de San Francisco, était directeur des ventes en Silicon Valley. Marie-Louise Dany-Roser de Strasbourg fut la première femme aux USA à diriger un grand hôtel. Sandra Dalzac-Holderbach, journaliste indépendante, avait quitté l’Alsace Bossue pour travailler avec Léon Zitrone avant de s’envoler pour l’Amérique. Paul Debes d’Obernai habitait dans une rue qui portait son nom dans une petite vallée dont il était le propriétaire à San Rafael. Fils d’un tonnelier d’Obernai, il avait quitté l’Alsace à 17 ans en 1928 et était devenu un industriel dans la confection de repas d’avions. Jean Marc Fullsack, diététicien de Wissembourg, initiait les chefs de la Maison-Blanche à la cuisine saine et légère. Dominique Hatt, petit-fils du brasseur, diplômé de l’école Lenôtre de pâtisserie, était devenu designer industriel en Silicon Valley. Hubert Keller de Ribeauvillé, chef propriétaire du restaurant Fleur de Lys à San Francisco, fut le premier chef invité à la Maison-Blanche pour cuisiner pour Hillary et Bill Clinton. Sa femme Chantal, de Munster, avait laissé tomber la mode pour le suivre. Martine Kempf, inventrice du « Katalavox », ordinateur à commande vocale, vivait des jours remplis et sereins dans cette Silicon Valley qui l’avait de suite adoptée après les maladresses d’Edith Cresson, alors ministre du redéploiement industriel. Bernard Kress de Neubourg, docteur en physique en Silicon Valley, consultant indépendant en micro-optique, était à 32 ans une pointure internationale dans le domaine de la microélectronique et plus précisément des optiques diffractives. Il est aujourd’hui directeur de recherche chez Google. Et puis j’avais trouvé si attachants Joseph et Joséphine Lichtlen de Guebwiller qui furent cuisinier et femme de chambre au service d’Edith Mayer, la fille du créateur de la Metro Goldwyn Mayer, ils avaient toutes les stars (de tendance démocrate) à leur table. Philippe Roth, qui fut champion de natation au Mulhouse Olympique Natation, vendait des lunettes dans l’Ouest américain. Édouard Schmidtlin de Boersch, était ingénieur-astronome à la NASA à Pasadena, Olivier Velten, le « golden boy » Calabasas qui était à 28 ans le vice-président de la compagnie financière Countrywide. Catherine Wendling, mannequin à Strasbourg, devint professeur de yoga à Pacific Palisades. Alors que je me trouvais à La Fleur de Lys, le restaurant de Chantal et Hubert Keller à San Francisco, j’y ai rencontré Rina Muller, qui dirigeait la brasserie Schutzenberger à Schiltigheim et faisait découvrir amplement aux USA la bière Jubilator dont Paul Newman et Jack Nicholson se disaient fans. Elle était accompagnée de sa fille Lorraine, qui avait fini son cycle d’études à Stanford et qui allait revenir en France pour la réouverture au printemps suivant du Palais de la Bière, rebaptisé Le Schützenberger, place Kléber à Strasbourg, après une modernisation en noir et blanc conçue par l’architecte Jean Nouvel.

Avec la guide Denise Rockwell, originaire d’Ittlenheim, à San Francisco,
au brouillard célèbre. / ©S.M.

Je suis rentrée des États-Unis à la fin du mois d’août 1999. Au cours des trois mois qui ont suivi, j’ai écrit le livre, m’attelant à la tâche après mes journées de travail, chaque soir jusqu’à deux heures du matin. J’ai remis le manuscrit à l’éditeur Bernard Reumaux fin décembre 1999 alors que la tempête Lothar décimait les toits et les forêts. Il m’annonça en janvier 2000 que le livre paraîtrait en mai de la même année. Le lancement eut lieu comme prévu au Schützenberger place Kléber, le 10 mai. Il permit aux familles alsaciennes des personnes présentes dans le livre de se rencontrer. Avant même la parution, Marc Haeberlin m’avait fait savoir qu’il souhaitait m’offrir une fête autour de ce livre, qui réunirait à la fois des « Alsaciens de Californie » et leur famille d’ici. Ce magnifique cadeau se concrétisa le mercredi 14 juin 2000. Son offre, inattendue et si généreuse, de mettre une table de 30 personnes à disposition pour le lancement du livre me toucha. J’ai notamment pu y réunir les mamans des quatre grands chefs alsaciens des États-Unis : Jean Joho, Jean-Georges Vongerichten, Marc Haeberlin et Hubert Keller. Martine Kempf avait accepté, après plusieurs années d’absence, de revenir pour la première fois en cette France qui l’avait si peu estimée. L’annonce de sa venue a créé l’évènement. Les journalistes de télé, radio et presse écrite se sont passionnés pour sa présence. La journée fut un beau partage qui marqua les esprits. Le livre avait atteint son but :
faire découvrir des êtres, les réunir en Alsace et en Californie. Là-bas, certains se sont liés d’amitié, se retrouvaient entre eux et faisaient des fêtes en mitonnant des plats alsaciens. Quant aux Alsaciens d’Alsace, bon nombre d’entre eux ont suivi mon périple, mon livre à la main, en essayant de rencontrer ces Alsaciens de là-bas et en leur faisant dédicacer le livre.

Un été en Californie, au cœur du rêve américain avec les Alsaciens du Nouveau Monde (La Nuée Bleue, mai 2000). / ©S.Morgenthaler

L’Amérique exerçait alors une forte attirance, qui a pris du plomb dans l’aile avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Les attitudes erratiques du président et celles de son administration ont érodé l’image d’un continent qui était jusqu’alors considéré comme celui du Nouveau Monde et de la liberté.

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