jeudi 21 novembre 2024
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Jean Frédéric Hugel – Famille je vous aime

Elle figure parmi les plus anciennes entreprises familiales françaises : la maison Hugel produit des vins à Riquewihr depuis 1639. Une longévité exceptionnelle entretenue par la passion du métier et des choix visionnaires. La 13ème génération est aux commandes avec Marc André et son cousin Jean Frédéric Hugel. Ce dernier nous livre quelques secrets de famille.

Pouvez-vous nous présenter la Maison Hugel ?

Nous sommes producteurs et négociants de vins, c’est-à-dire que nous achetons des raisins à des petits vignerons. Nous avons 30 hectares de vignes en propre situés uniquement à Riquewihr, complétés par 80 hectares pour l’activité négoce. Nous produisons 850 000 cols par an et possédons deux grands crus : le Schoenenbourg et le Sporen. Nous employons 27 personnes et 90% de notre production est exportée dans une centaine de pays, surtout aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. Nos vins sont vendus chez les cavistes et dans les restaurants. Nous ne sommes pas présents en grande distribution, ou de façon marginale.

Comment l’histoire du domaine a-t-elle démarré ?

Hans Ulrich Hugel arrive à Riquewihr en 1638. D’origine suisse et habitant à Dannemarie, il fuit la guerre de Trente Ans qui oppose les Suédois aux Habsbourg d’Autriche.
Le Sud Alsace n’était pas un secteur à vignes, mais il choisit de cultiver et de vendre son vin à partir de 1639. Il fait vite son chemin dans la politique viticole locale, car dès 1672, son fils construit une maison. Cela signifie que les affaires tournaient bien malgré le coup d’arrêt économique provoqué par la guerre de Trente Ans. À l’issue de cette guerre, l’Alsace devient française pour la première fois.

L’évolution du domaine est donc intimement liée à l’Histoire avec un grand H ?

Oui, l’Alsace a toujours fait l’aller-retour entre le monde germanique et la France. À chaque fois qu’une entreprise change de marché domestique, elle doit recommencer de zéro, car les réglementations changent totalement. Au XVIIème siècle par exemple, l’Allemagne avait des règles plus laxistes sur le vin que la France. Nous avons eu à nous reconstruire très souvent, quasiment tous les 30 ans. C’est ce qui explique notre forte implantation à l’étranger. En 1934, comme il pressent un nouveau conflit, mon arrière-grand-père Jean Hugel a pris son bâton de pèlerin et a voyagé jusqu’en Australie, aux États-Unis, en Thaïlande… pour vendre ses vins. C’est lui qui a déclenché notre stratégie à l’export.

Les générations ont traversé les siècles, mais aussi les équipements. Vous conservez dans votre cave un foudre qui figure au livre Guinness des records…

Nous avons effectivement le tonneau Sainte Caterine qui est le plus vieux fût du monde en activité. Il date de 1715. Il a été confisqué au clergé pendant la Révolution française, puis il a été rétrocédé en 1920, mais l’Église n’en voulait plus, car elle ne produisait plus de vin.
La famille Hugel l’a acquis en 1921. Il a une capacité de 8800 litres. Nous l’utilisons toujours, mais de façon modérée.

Qui sont les figures clés de l’histoire du domaine ?

Il y a quatre personnages clés : le fondateur bien sûr, Hans Ulrich Hugel, Louise Ortlieb, Émile et Jean Hugel. Dans les années 1880, Louise Ortlieb se retrouve veuve d’Émile (père), décédé jeune. Elle a tenu la boutique toute seule jusqu’à ce que ses enfants aient fini leurs études. À l’époque on ne pensait pas qu’une femme avait la capacité et la légitimité de gérer une entreprise. On lui doit énormément, car sans elle, l’histoire familiale se serait arrêtée. Après la Première Guerre mondiale, Émile a été l’artisan de la qualité. À cette époque, les cépages alsaciens qu’on connaît actuellement représentaient moins de 4% de l’encépagement du vignoble. L’Alsace produisait du volume, mais peu de vins de qualité. Émile a arraché les vignes hybrides qui avaient été plantées suite au phylloxera (insecte qui avait ravagé le vignoble français au XIXe siècle) et a planté des vignes greffées. À partir des années 1930, Jean a beaucoup œuvré pour le commerce. C’est lui a rendu nos vins célèbres dans toutes les grandes tables du monde.

Son fils Jean a aussi marqué l’histoire des vins d’Alsace, notamment des vins sucrés. Pouvez-vous nous expliquer cet épisode ?

Jean (fils) est à l’origine des décrets qui régissent les vins de vendanges tardives et les sélections grains nobles en 1984. Avant cette inscription dans l’appellation, le domaine Hugel produisait déjà des vendanges tardives et des sélections grains nobles, mais c’était exceptionnel. Tellement rare que ce type de vins ne figurait pas sur nos tarifs. L’année 1976 a changé la donne. Ce premier millésime de sécheresse a été formidable pour les vins moelleux. Nous avons pu produire du volume et donc le commercialiser. Nos cuvées vendanges tardives et sélections grains nobles se sont retrouvées dans tous les palaces du monde. Cela a été un tremplin incroyable pour les vins Hugel. C’est ce qui a contribué à construire notre réputation.

Aujourd’hui vous représentez la 13ème génération à la direction de l’entreprise. Quel est le secret de la longévité ?

Je dirais qu’il faut produire de bons vins, cela commence par là. Et puis on ne peut pas exercer ce métier sans passion. Si on fait cela juste pour l’argent, la tentation de vendre est grande. À son décès, mon arrière-grand-père Jean avait déjà réglé les droits de succession pour les deux générations suivantes. Cela donne une bonne définition de comment maintenir l’héritage familial. Nous avons tous à l’idée qu’on ne travaille pas pour nous-mêmes, mais pour la génération suivante. Et nous essayons de transmettre l’entreprise dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvée.

Qu’est-ce qui est facile et compliqué lorsqu’on travaille en famille ?

Tout est facile quand on est d’accord et tout est compliqué quand on ne l’est pas ! Mais lorsqu’il y a des désaccords, nous avons suffisamment de bon sens et d’intelligence pour mettre de côté notre ego au profit d’un objectif commun qui est l’entreprise. La pérennité du domaine compte plus que les personnes qui y travaillent. Mais travailler en famille est une superbe aventure !

Quel est votre regard sur les vins d’Alsace ?

Je suis persuadé que les vins d’Alsace peuvent devenir les plus grands vins blancs du monde. De par son climat et sa géologie, notre région est parfaite pour produire de grands vins blancs. Il y a un potentiel incroyable. Mais les Alsaciens ont un complexe d’infériorité. Je pense que le pire ennemi de l’Alsace ce sont les Alsaciens qui ont tendance à se dire « les grands vins ce n’est pas pour nous ». L’Alsace produit des vins de garde. Les grands rieslings sont à leur apogée à plus de vingt ans, cela mérite d’être su par les Alsaciens.

 

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