mercredi 16 octobre 2024
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Les voitures brûlées du Nouvel An de Catherine Trautmann

Notre chroniqueur Ambroise Perrin nous propose pour cette rentrée une série qu'il intitule « Ce jour-là (en Alsace !) j'étais là... ». Chaque semaine une intrépide plongée littéraire dans des textes qui jalonnent l'identité de notre région. Cela commence toujours par une date précise pour raconter, avec un peu de dérision, une petite histoire. La littérature ayant le privilège de ne pas vérifier si tout est vrai, il reste l'essentiel, amuser les lecteurs de Maxi Flash.

Le 31 décembre 1995, je suis de permanence à la Caserne de Finkwiller, lieutenant pompier de première classe. La nuit sera chaude, les beuveries, les pétards qui arrachent les doigts, les maris qui battent leurs femmes, et des suicides, les soirs de Nouvel An sont parfois si tristes. Surprise, la maire de Strasbourg, Catherine Trautmann, passe nous dire bonjour sans tambour ni trompette, c’est-à-dire sans un journaliste, ni une caméra. Les pompiers l’aiment bien, quand la maire arrive ès-qualité sur une intervention dramatique, elle comprend vite. « Elle est sympathique avec nous, sans détour ». 

Ce soir, elle nous apporte une tarte aux quetsches qu’elle a faite elle-même ! Trop bon ! Elle nous parle ensuite d’une rumeur. Un accident de voiture a fait 4 morts, 4 jeunes qui sont allés s’encastrer dans un arbre à l’entrée de Strasbourg, et on raconte qu’ils étaient poursuivis par la police et qu’ensuite un sauveteur aurait dit que le bilan n’était pas si grave, puisqu’il s’agissait d’étrangers. Leurs copains se sont rassemblés dans leur quartier, ont voulu voir les corps à l’hôpital, ils ont défilé au centre-ville et la police les a canalisés et refoulés. La situation a dégénéré, des bagarres ont éclaté. En cette veille de réveillon, la maire de Strasbourg nous dit que les incendies de voitures, qui sont souvent des vengeances, ou des arnaques à l’assurance, risquent de prendre de l’ampleur. Brûler des voitures au passage de l’An Neuf ! Les forces de l’ordre seront présentes, pas seulement pour arrêter les incendiaires, mais pour vous protéger, vous les pompiers, des caillassages. Catherine Trautmann craint que cela devienne comme un match, genre Hautepierre contre Neuhof (deux quartiers de Strasbourg). Elle a suggéré aux médias de ne plus donner les chiffres des voitures brûlées. L’avenir confirmera ses craintes avec ce titre quatre ans plus tard : 2000 voitures brûlées à Strasbourg pour l’an 2000.  Là, on est déjà sur place dans nos camions. Et on voit Catherine Trautmann arriver au volant de sa propre voiture. Elle sort, et marche seule vers un groupe de jeunes, elle a vraiment du culot ou plutôt du courage. Tout le monde l’a reconnaît, bien sûr, madame le maire, « Catherine », elle discute, pourquoi brûlez-vous les voitures de vos voisins ? Vous savez que la police va vous attraper…  Un gamin, peut-être 15 ans, lui répond, « nous, on n’a pas le choix, on doit vivre dans la cité, et on sait bien que la police aussi n’a pas le choix, elle est obligée de venir dans les cités. Mais qui gagne, tout le monde s’en fout ».   

Sans détour. Catherine Trautmann, 2002, Seuil.

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